avignon in : à faire pleurer Margot…

Jean-Pierre Han

14 juillet 2024

in Critiques

Lacrima par Caroline Guiela-Nguyen. Présenté du 7 au 11 juillet au Gymnase du lycée Aubanel. Le spectacle sera présenté au TNS en septembre, au CDN de Reims, au théâtre du Nord, au théâtre de l’Odéon-Théâtre de l’Europe…

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De par ses origines vietnamiennes (par sa mère), Caroline Guiela-Nguyen a dû hériter d’une’âme sensible et le goût pour les romances comme c’était déjà parfaitement patent dans son grand succès, Saïgon. Nous revoilà dans le même registre avec son dernier spectacle qui présente l’avantage d’être explicite dès son titre : Lacrima. Nous sommes donc prévenus et prêts à sortir nos mouchoirs. Il y a de quoi. À énumérer ce qui arrive à son personnage principal, Marion, première dans un atelier de haute couture, désignée pour confectionner la robe de mariée d’une princesse de la famille royale britannique (puisque c’est cette dynastie qui nous fait rêver, nous autres, français). Marion donc, première, mais avec un mari travaillant sous ses ordres dans le même atelier (oh, le conflit !) voilà qui débute mal et va se poursuivre encore plus mal puisqu’atteint de jalousie maladive ledit mari va se mettre à harceler sa femme et être à deux doigts de l’étrangler… Leur fille, une jeune adolescente ne les supporte plus, leur reproche leur absence physique et affective dit-elle. Ce n’est pas tout : la sœur de Marion est morte à vingt-quatre ans dans un asile atteinte d’une maladie génétique qui aura été transmise à un autre membre de la famille… Arrêtons là la liste des infortunes de la pauvre femme qui finira par tenter de se suicider sur son lieu de travail bien sûr : le spectacle débute de cette manière, et tout le reste ne sera qu’un énorme retour en arrière expliquant son geste, mais tout y est avec intervention des pompiers venus la secourir, et déjà, cœur serré, vous baignez dans les larmes…

Voilà comment Caroline Guiela-Nguyen installe son histoire, une vraie série TV, en tentant de mêler l’intime et le professionnel, lequel ne manque évidemment pas de rebondissements peu réjouissants, comme la découverte du brodeur indien (il va de soi) sur le point de devenir aveugle et devant être congédié, et les aléas concernant la confection de la fameuse robe (de sa traîne essentiellement), car, on le dira et le surlignera, il s’agit de montrer l’envers du décor, le travail de l’atelier avec ses petites mains, alors que les grandes tractations avec le créateur de mode – convenues et caricaturales – se font par vidéo. Là où le bat blesse, alors qu’on nous l’aura répété, c’est qu’en dehors de la situation des deux personnages principaux (le couple en train de se défaire), il est peu question des autres employées, essentiellement des femmes et de leurs conditions. Nous sommes certes dans un atelier reconstitué à l’identique – il faut faire vrai – ; on nous convie aussi à assister au témoignage captivant des dentellières d’Alençon mais réalisé dans une forme très maligne qui évite soigneusement de se poser la question de savoir comment traiter ces témoignages théâtralement : c’est une émission télé et un journaliste interroge les travailleuses (c’est plutôt facile, voire paresseux, on en conviendra)… Tout cela tricoté dans des mini fictions – poursuivons la métaphore de la couture – mais les fils, de soie ou pas, ne sont pas fins, ils sont plutôt épais, quasiment des câbles. À l’image de la partition (appelons-la ainsi) musicale et sonore appelée en renfort, soulignant chaque effet, comme même le cinéma n’ose plus le faire. On en reste pantois.

On est, bien sûr, dans l’ordre d’une incessante et très appuyée démonstration dont Maud Le Grevellec (Marion) est la porte-parole en actes, qu’elle puisse s’en sortir ainsi (notamment dans la scène d’altercation entre elle et son mari interprété par Dan Artus), dénote un réel talent qu’on lui connaît depuis longtemps. C’est aussi qu’il aurait peut-être fallu une véritable écriture de l’autrice, et on ne peut s’empêcher de songer à Jean-Claude Grumberg qui nous avait présenté en 1979, il y a presqu’un demi siècle, un Atelier tout de finesse d’écriture, d’intelligence théâtrale et politique…

Photo : © Christophe Raynaud de Lage