Avignon off : un fascinant rituel

Jean-Pierre Han

12 juillet 2024

in Critiques

Kal de Paul Francesconi. Mise en scène de l’auteur. Jusqu’au 21 juillet (relâche le 15). Chapelle du Verbe Incarné, à 13 h 25. Tél. : 04 90 14 07 49.

Le texte de la pièce est édité aux éditions Lansman

KAL PREVIEW (WEB) © ThierryLaporte (5)

Le moins que l’on puisse dire c’est que le spectacle de Paul Francesconi, Kal, va à l’encontre de toutes les thématiques et partant de toutes les esthétiques des spectacles présentés aussi bien dans le In que dans le Off d’Avignon. On ne s’en plaindra guère, et cela apporte une salutaire bouffée d’air dans une atmosphère générale étouffante et plutôt sinistre. Reste qu’à y regarder de près l’œuvre de Paul Francesconi, tout à la fois auteur et metteur en scène, ne dédaigne quand même pas, loin s’en faut, d’aborder des sujets qui nous hantent aujourd’hui tels que ceux de la fuite et du refuge, mais à sa manière non forcément marquée du sceau d’un réel trop prégnant, mais au contraire dans un imaginaire à la poésie rémanente. Paul Francesconi sait de quoi il parle, originaire de l’île de la Réunion où il retourne régulièrement il en a été marqué à vie et à vif, connaissant les problèmes de l’île, comme ceux de marronnage, mais il en saisit surtout le tissage « tellurique » invisible pour reprendre le terme qu’il utilise lui-même. Marqué dans sa chair tout cela nourrit son œuvre qui s’affermit d’année en année et atteint avec Kal un degré de maturité qui lui permet de traiter sa fable de la meilleure manière qui soit.

Un exilé, Ram, échoue à bout de souffle sur une plage. Il est seul, femme, enfant, communauté, tous ont disparu. Une femme, Kal, va l’aider, sans émettre la moindre parole – seuls les corps s’expriment – et conduire Ram au sommet d’un volcan dans lequel elle se jettera. C’est tout et pourtant ce qui surgit de ce conte qui se passe donc de toute parole exprime tous les mystères de la vie, de l’amour et de la mort dans une danse singulière à la violence feutrée. Très singulière même puisque cette danse de mort (et de vie) prend appui sur les rythmes et la musique, ceux de Claude Francesconi et de Kristine Kotschi et des simples sons qu’orchestre avec ses nombreux instruments Elsa Dupuy dans un cérémonial qui n’est pas sans évoquer les rituels asiatiques comme ceux du Japon.

Ce qui se déroule sur le beau plateau recouvert de sable signé Kristelle Paré, est lui aussi de l’ordre d’un rituel ésotérique qui fait surgir des mondes nouveaux jusque-là profondément enfouis en nous, touche à des cordes sensibles mais invisibles. Et cela par la grâce de deux personnages aux noms très beckettiens de Ram et de Kal, interprétés par Martin Jaspar et Chloé Lavaud-Almar parfaits dans leurs registres respectifs.

Photo : © Thierry Laporte