Avignon in : un peu convaincant maillage

Jean-Pierre Han

11 juillet 2024

in Critiques

Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues. Traduit du portugais par Thomas Resendes. Mise en scène de l’auteur. Carrière de Boulbon à 22 heures jusqu’au 16 juillet. 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

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Au mystérieux titre Hécube, pas Hécube qui s’éclairera à la vision du spectacle que nous propose Tiago Rodrigues à la carrière de Boulbon, on aimerait en proposer quelques autres et notamment celui-ci : « Pourquoi Hécube », avec ou sans point d’interrogation, dont le spectacle cette fois-ci ne nous donnera pas vraiment de réponse. Hécube, pas Hécube donc et l’on trouve tantôt, ça va quand même de soi, des relents et des passages de la pièce d’Euripide, tantôt pas grand-chose qui nous la rappelle. Une fois oui, une fois non… Dans ces conditions difficile de se satisfaire de cet entre-deux. Il marque en fait surtout, semble-t-il, la position intenable de l’auteur-metteur en scène, tiraillé entre deux pôles, à savoir traiter d’un sujet personnel qui lui tient à cœur, et/ou évoquer sans même la mettre en scène, Hécube. Pourquoi Hécube en effet ? J’y reviens lourdement et à voir le spectacle ne trouve pas vraiment de réponse. Parce c’était une collaboration avec la Comédie-Française et qu’il fallait bien un grand texte de répertoire théâtral de tous les temps et de tous les horizons géographiques ? On ne sait. Quant à ce qui tenait au cœur de Tiago Rodrigues et à voir le travail sur le plateau, sans doute s’agissait-il avant tout d’une réflexion-hommage sur les comédiens. Mais qu’il était difficile de le proclamer ou simplement de l’avouer !

Ceci explique peut-être le très pénible démarrage du spectacle avec ce dispositif vu et revu mille et une fois ces dernières années sur tous les plateaux des jeunes compagnies souvent réunies en collectifs. Les comédiens sont sur le plateau à l’arrivée des spectateurs, circulent le plus « naturellement » du monde en montrant bien qu’ils ne jouent pas, s’interpellent, plaisantent, rigolent (en version plus sérieuse on vient de voir la même entame de spectacle dans Lieux communs de Baptiste Amann avec présences signalées des techniciens avec les petites lumières de leurs appareils). En réalité tout ce petit monde joue à ne pas jouer… avant d’entrer dans la vif du sujet.

Puis tous se retrouvent, après avoir enfilé leurs costumes de scène noirs (on est quand même dans une tragédie !) assis autour d’une table (ah, le syndrome de la table que l’on retrouvait par exemple dans tous les spectacles de Julie Deliquet, la grande prêtresse de la cour d’honneur l’an passé), manuscrits du texte posés sur la table et que l’on va feuilleter fébrilement, car on répète et on ne connaît pas encore tout à fait le texte par cœur ni les déplacements… On va donc chercher sans – remarquons-le au passage – l’aide d’un metteur en scène quelconque… Tout au plus pourrait-on penser que Denis Podalydès assis à une extrémité de la table dans une attitude droite pourrait jouer ce rôle, mais non…

J’ai déjà évoqué à maintes reprises comment Tiago Rodrigues met en place dans chacun de ses spectacles un dispositif particulier, une sorte de machine théâtrale qui lui permet de développer ensuite à son aise son propos. C’est chose faite ici, avec cette sorte de parallèle qu’il tente de tisser, sans vraiment y parvenir, entre la tragédie d’Hécube, la femme de Priam, roi de Troie, qui découvre que leur dernier fils, Polydore, confié au roi des Thraces, Polymestor, a été égorgé, et l’histoire du fils autiste de l’une des comédiennes du spectacle victime de maltraitances dans l’institution où il a été admis, et du combat que mène sa mère auprès d’un Procureur de la République. Le tissage ne va pas de soi et s’avère plutôt léger et fragile d’autant que l’ensemble pèche au plan de l’écriture.

Ce qui en revanche est davantage convaincant c’est le travail tout à fait remarquable des comédiens de la troupe du Français, Éric Génovèse, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi, et le trio majeur formé de Loïc Corbery, Denis Podalydès et Elsa Lepoivre. À eux tous, à l’aise dans les deux registres de jeu qu’on leur propose d’assumer, ils sauvent ce qui peut l’être avivant le regret de n’avoir pas les grands rôles, tragiques ici, à la mesure de leur talent.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage