Avignon off : des ressources vraiment humaines ?

Jean-Pierre Han

6 juillet 2024

in Critiques

Ressources humaines, d’après le film de Laurent Cantet. Adaptation et mise en scène d’Élise Noiraud. Le 11 à 18 h 50. Relâche les 8 et 15 juillet. Tél. : 04 84 51 10 10.

photo 5 RH crédit Christophe Raynaud de Lage (7)

Lorsqu’Élise Noiraud a créé en octobre 2022 Ressources humaines d’après le film de Laurent Cantet réalisé en 1999, on a pu se dire qu’il fallait sans doute faire une certaine gymnastique pour avaliser le propos qui tournait autour de l’application de la loi (la loi Aubry) des 35 heures. Cela faisait en effet près d’un quart de siècle que cette loi avait été votée, et même si sa mise en œuvre ne s’est pas faite du jour au lendemain on se posait tout de même la question de savoir s’il n’y aurait pas un petit côté « passéiste » dans une représentation tournant autour de ce sujet. Il n’en fut rien grâce à la qualité de la représentation d’Élise Noiraud. Il n’en n’est toujours rien deux ans plus tard – aujourd’hui – d’autant plus que cette loi, si par malheur le RN arrivait au pouvoir, serait sans doute remise en question. L’actualité du sujet reste donc brûlante d’autant qu’elle est traitée à travers le prisme d’une transgression de classe qui, elle, n’est pas soumise aux fluctuations du temps. Celle qu’opère un brillant jeune homme qui a pu suivre, grâce au « sacrifice » de ses parents, des études supérieures d’une école de commerce et qui revient au pays pour faire un stage dans une entreprise dans laquelle travaillent son père, ouvrier à la chaîne depuis une trentaine d’années, sa sœur et un ami d’enfance. On imagine aisément le parcours qu’il va effectuer au sein de cette entreprise, dans le service des ressources humaines, auprès du patron qui, devinant ses capacités, le prend sous son aile et quasiment en amitié, dit-il. On sait ce que valent les amitiés dans ce milieu… Elles ne peuvent que voler en éclats, surtout lorsque par quelques indiscrétions, le jeune homme découvrira qu’un plan social est en train de se mettre en place et que, parmi les sacrifiés, figure son père en toute première ligne, et que dans cette affaire il a été complètement manipulé. Le voilà donc devant l’heure du choix. C’est ce que développera la dernière partie de la pièce.

Il fallait pour traiter un tel sujet en évitant tout pathos, tout dérapage émotionnel, une authentique rigueur, liée à une sincérité de bon aloi. Il fallait un travail d’équipe serré : dans l’habile scénographie de Fanny Laplane qui se transforme à vue avec quelques tables et quelques chaises manipulées par les comédiens qui interprètent pour la plupart plusieurs rôles, passant sans coup férir de l’un à l’autre, Benjamin Brenière, le transfuge de classe, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porcher, Vincent Remoissenet et Guy Vouillot parviennent dans une économie de moyens à faire vivre différents espaces quotidiens (de travail, de famille…) et à créer l’atmosphère de cette vie provinciale. Tous les sept sont d’une parfaite rigueur dans leur démonstration en actes qu’ils réalisent même avec une alacrité sérieuse excellemment organisée par Élise Noiraud. De la belle ouvrage en quelque sorte !

Photo : © Cristophe Raynaud de Lage