AVIGNON IN : THÉÂTRE D'AUJOURD'HUI ?
Absalon, Absalon ! De William Faulkner. Adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier. Festival d’Avignon, La Fabrica, à 16 heures, durée 5 heures, jusqu’au 7 juillet. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com
Le roman de Faulkner est publié aux éditions Gallimard (L’imaginaire), 428 pages, 14 euros.
L’écriture de Faulkner semble hanter Séverine Chavrier ; elle s’y était déjà confrontée en présentant une adaptation des Palmiers sauvages il y a près d’une dizaine années, sans pour autant totalement convaincre car on avait en cours de route quelque peu perdu l’œuvre de l’écrivain américain, à laquelle on ne comprenait plus grand-chose, au détriment de l’univers très personnel de la metteure en scène. Elle récidive cette fois-ci, à tous les niveaux a-t-on envie d’ajouter, en s’attaquant à Absalon, Absalon ! publié un peu avant Les Palmiers sauvages, en 1936. Si ce n’est que l’univers esthétique de Séverine Chavrier et sa manière de le présenter se sont affermis, après avoir été expérimenté sur d’autres grands textes, comme ceux de Thomas Bernhard notamment avec la dernière proposition en date, La Plâtrière. Dans ces conditions il ne faut sans doute pas lui faire grand grief de nous livrer une vision d’Absalon, Absalon ! où l’on ne reconnaîtra pas vraiment l’œuvre de l’auteur… D’ailleurs Séverine Chavrier ne cesse de répéter ici et là qu’effectivement il ne faut pas vraiment chercher l’œuvre là où elle n’est pas, ajoutant qu’elle a même intégré de éléments de la vie de comédiennes et des comédiens pour rendre encore plus crédibles les personnages évoqués dans le spectacle !
Sont-ce ces « ajouts » et autres modifications qui finissent par singulièrement compliquer ce que l’on peut voir du spectacle ? Pas seulement peut-être, mais cela y contribue fortement. La traduction (chez Gallimard) et la relecture du roman initial ont été faites, est-il dit, par les deux grands spécialistes François Pitavy et René-Noël Raimbault lequel, toutefois, est décédé en… 1968 (?!) et offrent toutes les garanties de sérieux du travail entrepris par Séverine Chavrier. On ajoutera que si l’on veut s’y retrouver dans l’entrelacs des personnages et de leurs histoires racontées de différents point de vue, on fera bien d’aller consulter les dernières pages du livre publié où une chronologie et une généalogie des personnages sont données. Mais rien n’y fera forcément car l’adaptation (comme la mise en scène) sont bien signés Séverine Chavrier et l’on n’en saura pas plus sur ce qui déroule sur tout le vaste espace à étages du plateau. Avec, bien sûr le travail vidéo omniprésent de Quentin Vigier, le travail musical d’Armel Malonga présent sur la scène et intervenant dans le déroulé du spectacle, le tout accompagné par l’activité sonore continue signée Simon d’Anselme de Puisaye et Séverine Chavrier en personne dont on connaît le talent de musicienne.
Tout est donc parfaitement en place pour, non pas forcément rendre compte du roman de Faulkner, mais pour s’en servir et développer le propre univers de la metteure en scène. On retrouvera donc bien ici et là des éléments (des personnages) du livre, mais Séverine Chavrier rebat toutes les cartes. C’est beau bien sûr, fort sans aucun doute, il y a là l’affirmation d’un univers qui sans être d’une totale originalité, marque les esprits, la vue et l’ouïe, et non sans certaines agaceries que l’on retrouve chez d’autres créateurs comme chez le nouveau directeur du théâtre de l’Europe-Odéon, où l’on constate que les comédiens se sachant filmés jouent dans le même registre de jeu réalisto-hystérique qui devient vite insupportable. Tous, pour la plupart bons comédiens, Laurent Papot en tête, on se dit qu’il y a sans doute une technique de jeu particulière dès lors qu’une caméra vous suit à la trace… La justesse de jeu et de ton on les retrouve, en revanche et de manière exemplaire, chez Annie Mercier à la tête d’une distribution néanmoins cohérente.
Neuf chapitres donnent chacun la parole à l’un des protagonistes qui s’adresse directement à un autre interlocuteur ; on retrouve ainsi différentes scènes décrites par des personnes différentes, ce qui n’arrange guère les choses. Dans ces conditions on comprend aisément que Séverine Chavrier n’ait pas tenté d’utiliser ce même dispositif ; il n’empêche que celui qu’elle lui substitue n’est guère plus éclairant, la distribution de la parole chez elle brouille davantage le déroulé du spectacle qu’elle ne l’éclaire. Et on finit par se demander quel est l’axe de son regard qui laisse de côté (sauf à l’évoquer brièvement, et de loin pourrait-on dire) la guerre de Sécession pourtant importante dans le déroulé du livre. En revanche la metteure en scène n’hésite pas, jusqu’à plus soif, à multiplier et à tricoter les différentes interférences entre les personnages et leurs histoires, en faisant ressortir, ça va de soi, sur ce qui fait le fond de notre théâtre d’aujourd’hui à l’image de nos sociétés concernant les violences, l’inceste, le racisme viscéral, etc. Jusqu’à plus soif, effectivement : le spectacle de cinq heures est largement trop long.
Photo : © Christophe Raynaud de Lage