Le recours à la forêt… rebelle

Jean-Pierre Han

30 juin 2024

in Critiques

M.A.D. ! Je te promets la forêt rebelle de Joséphine Serre. Mise en scène de l’autrice. Créé au Théâtre de la Tempête à Paris, le 6 juin 2024. Festival de Villeréal du 7 au 9 juillet. À Anis Gras à la rentrée.

M.A.D. Je te promets la forêt rebelle de Joséphine Serre. Éditions Théâtrales, 124 pages, 17 euros.

Sans doute convient-il de considérer le dernier spectacle de Joséphine Serre, M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle comme un manifeste. Celui que nous a offert de belle manière cette jeune femme et ses compagnons de travail et de plateau au Théâtre de la Tempête, avant de partir sur d’autres chemins, notamment au festival de Villeréal dans le Lot-et-Garonne, près du lieu d’implantation de la compagnie au nom prédestiné de L’Instant propice qu’elle dirige, ici et maintenant, pour l’avenir…

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M.A.D ! Le titre est on ne peut plus clair, il s’agit bien des Mondes à Défendre que porte à la scène Joséphine Serre, à travers une fable aux mille et une voix(es), pour nous promettre effectivement un monde meilleur que celui dans lequel nous vivons actuellement qui est, si on inverse la dénomination de l’acronyme de M.A.D., un monde à détruire. Mais il n’y a pas dans la proposition de Joséphine Serre, porte-parole, d’une certaine manière, des jeunes gens de sa génération dont elle a bien senti quelle était leur aspiration à déjà transmettre et à mettre au même diapason ceux de la génération suivante, celui des enfants des années 2000, ainsi qu’elle l’affirme. En ce sens son spectacle est d’une réelle générosité, tourné vers l’avenir, refusant à juste titre de se complaire dans la lugubre description du monde d’aujourd’hui même si elle le dénonce, mais de manière dynamique et positive. À cet égard la fable qui prend appui sur le fait tristement réel de la mort de Rémi Fraisse un soir d’octobre 2014 atteint par une grenade offensive lancée par un gendarme mobile dans la ZAD (Zone à défendre) de Sivens alors qu’il s’opposait avec ses camarades au projet de barrage du Tarn, est sous la plume de Joséphine Serre on ne peut plus parlante dans la manière même qu’elle a de la traiter. Et c’est simplement admirable dans le refus de tout réalisme, dans sa manière de s’introduire et d’habiter les derniers moments de la conscience du très jeune homme, de 21 ans, devenu étudiant en botanique par amour de la nature. C’est merveille aussi que l’invention de l’autrice du personnage de la sœur (ils sont ainsi appelés Frère et Sœur) qui a brillamment suivi un autre chemin, celui préconisé par l’ancien monde, dans sa relation du coup forcément conflictuelle au départ avec son frère…

C’est merveille encore de voir comment Joséphine Serre gère la temporalité de son « manifeste », dans une sorte de compte à rebours (elle remonte ainsi le temps, débutant par le chapitre 3 de sa pièce pour aboutir au chapitre 1, avant d’interpeller le spectateur avec sa promesse d’un monde meilleur, celui de « la forêt rebelle » en marche comme dans le Macbeth de Shakespeare, une forêt peut-être peuplée de sorcières, toujours comme dans Macbeth, d’une chamane très certainement et d’êtres étranges comme celui portant le nom de Neil Armstrong (et voici soudain convoquée la galaxie), alors même qu’un grand chien noir portant le nom de Walden (on ne saurait être plus clair dans la référence à H.D. Thoreau…) traverse les lieux. C’est une forêt proliférante, foisonnante avec ses ombres et ses clartés que nous promet Joséphine Serre et qu’elle met en œuvre au cœur de la belle scénographie de Caroline Oriot, avec ses camarades de plateau, Joris Avodo (frère), Xavier Czapla, Camille Durand-Tovar (sœur), Arnault Lecarpentier, Zacharie Lorent et le musicien Frédéric Minière, tous à l’énergie de vrais militants de la cause consistant à sauver ce qu’il reste de notre monde en ruines.

Il faut à partir de là savoir se perdre dans l’exubérance de la forêt alors que le texte, a contrario, est écrit avec une belle rigueur dans un dispositif savant : en quatre années de conception Joséphine Serre aura eu le temps de se documenter et de travailler son sujet. Après Data Mossoul, Amer M. et Colette B. son registre d’écriture, par-delà sa mise en scène, ancré dans les problématiques de notre temps, s’avère être d’une belle et forte personnalité. Ouverte sur l’avenir, justement. Au moment où certains jeunes auteurs de la génération de Joséphine Serre s’enfoncent également dans la forêt profonde… ; le mouvement serait-il en marche ?

Photo : © Vahid Amanpour