AVIGNON IN : Éloge du vide

Jean-Pierre Han

30 juin 2024

in Critiques

Dämon, El funeral de Bergman, par Angelica Liddell. Cour d’honneur du palais des papes. Jusqu’au 5 juillet à 22 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Signe des temps : la presse théâtrale (et artistique) a bien changé, la critique avec, ça va de soi. Les artistes sont désormais sommés de s’expliquer sur leur geste de création, ce dont ils s’exécutent avec beaucoup de bonne volonté – et même parfois au-delà.

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Pas un « grand » spectacle qui ne soit expliqué, décortiqué jusqu’à plus soif. Avec ses présentations publiques le festival d’Avignon n’a pas manqué à ce rituel : il le poursuit hardiment. Les journaux à leur tour ont emboîté le pas, à moins qu’il ne l’ait précédé. Pas un grand quotidien ou hebdomadaire qui n’ait publié de grands papiers de présentation du « grand » spectacle de la cour d’honneur du palais des Papes offerte cette année à Angelica Liddell. L’artiste (car bien entendu, il ne faut pas dire autrice, metteure en scène, actrice ou performeuse, c’est nettement insuffisant voire inadéquat, comme on nous l’aura expliqué, tant elle excède toutes ces catégories !). Le spectacle avec les intentions de l’artiste est ainsi décortiqué ; vous ne pouvez pas dès lors ne pas le comprendre, le saisir dans ses intentions les plus cachées…

Voilà qui est bel et bon, mais quid de ce que l’on voit sur scène ? Muni (alourdi) de tout ce savant « savoir », comment retrouver, je ne dis pas son âme d’enfant, mais une certaine fraîcheur de vision et d’écoute. De toutes façons, en plus avec Angela Liddell, grande prêtresse du festival, nous avons tous en mémoire ses créations antérieures…

On me pardonnera de parler ainsi de choses qui sont en lien avec notre fonction de critique, mais je m’en sens d’autant mieux autorisé à le faire qu’en début de spectacle, Angelica Liddell cite un certain nombre d’articles la concernant, ce qui peut paraître drôle dans un premier temps, puis franchement superfétatoire dès lors qu’elle se met à insulter les auteurs desdits articles dont les noms sont cités et qui, par parenthèses, sont ceux qui l’ont le mieux suivie. Long, déjà trop long, comme tout le spectacle d’ailleurs, mais il faut bien commencer à occuper sinon combler, le vide, celui du plateau de la cour d’honneur assez bien pensé et agencé, encore que l’on se demande à quoi peuvent bien servir l’urinoir ou les wc qui resteront ainsi, sans utilité aucune, durant tout le spectacle. Avec, de nouveau, explications et citations (cela fait beaucoup de citations) puis premier tableau avec entrée du pape en personne qui furète ici et là avant de laisser la place à Angelica Liddell, déshabillé ouvert sur le sexe, et qui vient s’installer hardiment au centre de la scène – c’est son lieu : c’est elle qui porte la parole –, se lave le sexe, fesses face au public. Commence une heure dix de vociférations, d’injures, bref la gamme habituelle de son répertoire, balancées alors qu’elle va et vient d’un pas nerveux de jardin à cour et de cour à jardin : une heure dix… où toute la haine pour l’humanité et ses pauvres rejetons, avec tous les cliché du genre, comme celui des enfants obligés de subir le bruit des ébats de leurs parents, risquant par ailleurs d’être violés à tout moment, etc. Bref, rien à sauver, sauf que elle, Angelica Liddell semble être exonérée de toutes ces turpitudes : elle est en dehors de tout cela. D’où parle-t-elle ? Elle est en surplomb, domine ce monde de merde dans lequel nous baignons (pas elle bien sûr) ce qui ne manque pas d’être irritant, parce qu’à force, comme une mécanique mal remontée, cela ne fonctionne pas, ne fonctionne plus. Longue loghorrée hargneuse et d’autant plus gênante en ces temps de trouble politique ; oui, ce discours, tombe plutôt mal aujourd’hui.

L’ironie de l’histoire c’est que tous les extraits de critiques qu’Angelica Liddell vilipende s’avèrent au vu du spectacle parfaitement… justes et décrivent ce que l’on voit sur le plateau dont on aura dit et répété qu’il s’agit d’un hommage au cinéaste Ingmar Bergman qui avait écrit le scénario de son propre enterrement. Angelica Liddell n’a aucun scrupule à œuvrer dans ce registre de l’approche et l’accointance avec la mort et les funérailles du maître. Cela occupe la seconde partie du spectacle, avec ses relents religieux. Alors que l’on se demandait où se situait l’art théâtral dans la première partie où elle œuvrait seule, nous y voilà enfin dans ce second tempo. Malheureusement celui-ci s’avère plutôt terne en dépit d’une foule de figurants et de comédiens issus du théâtre royal de Suède en hommage muet au metteur en scène et réalisateur décédé. Là aussi les clichés abondent avec le cercueil posé au centre de la scène, rose posée en son centre, avec l’arrivée de l’enfant et regard appuyé avec Angelica assise près du cercueil… et ce ne sont là que deux exemples… puisqu’il faut bien fabriquer des images, elle est payée pour ça.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage