La quintessence de l'art théâtral

Jean-Pierre Han

13 juin 2024

in Critiques

Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello. Mise en scène de Marina Hands. Comédie Française, Théâtre du Vieux-Colombier, à 20 h 30 (mardi à 19 h et dimanche à 15 h). Tél. : 01 44 58 15 15. comedie-francaise.fr

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Depuis la date de sa création à Rome en mai 1921, les Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello, auront vu nombre de gens de théâtre s’engouffrer dans l’une des voies que l’auteur italien avait ouverte. Celle du jeu entre la réalité et la fiction, dans une extraordinaire et infinie mise en abyme de l’acte théâtral. Répétée à l’envi, déclinée jusqu’à plus soif, c’est presque devenu un lieu commun et en tant que tel, désormais, souvent agaçant. Le retour aux sources opéré par Marina Hands aujourd’hui s’avère intéressant et sans doute nécessaire, à condition de ne pas tomber dans le piège d’une sorte d’hommage-reconstitution, ce qui n’est pas le cas ici.

Parcours artistique déjà plus que riche, Marina Hands s’attaque aujourd’hui à sa première mise en scène en choisissant de revenir à Pirandello qu’elle avait déjà défendu sous la houlette de Klaus Michaël Grüber qui avait présenté Les Géants de la montagne avec Michel Piccoli et les élèves de troisième année du CNSAD. Sans nul doute un souvenir resté vivace dans un coin de la mémoire de Marina Hands… La revoici donc avec ces Six personnages en quête d’auteur qui n’est certainement pas la pièce du maître italien la plus simple à monter et dont on pouvait craindre qu’elle n’ait quelque peu vieillie. Or si rajeunissement il y a eu (ou dépoussiérage, comme on voudra) il ne s’agit pas d’un effet artificiel, avec une nouvelle traduction (de Fabrice Melquiot), et surtout une adaptation du même Fabrice Melquiot avec Marina Hands. Ce que la metteure en scène parvient à infuser sur le plateau avec l’aide de ses camarades du Français est assez exceptionnel : quelque chose, une touche de profonde humanité, de sensibilité, dans l’art de les diriger (car il y a bien direction dans un apparent désordre) assez rare au théâtre pour être perçue et signalée.

L’adaptation resserre la distribution à 8 comédiens (au lieu des 22 indiqués par Pirandello et distribués lors de la création en France par Georges Pitoeff il y a un peu plus d’un siècle), une concentration sur la famille des personnages « en quête d’auteur » en éliminant plusieurs rôles secondaires concernant le personnel et les « acteurs » habituels du théâtre. Resserrement donc et paradoxalement ouverture au plan de la scénographie, avec un espace bi-frontal et surtout des comédiens, ceux de la famille dont il est question dans la pièce, disséminés dans la salle au milieu des spectateurs. Ce n’est certes pas là une nouveauté, surtout dans les propositions scéniques d’aujourd’hui, mais c’est ici parfaitement justifié et intéressant sur ce qu’il induit concernant cette famille éclatée et dont la tendance est de toujours se reformer, comme s’il ne pouvait en être autrement dans le drame et le malheur. Encore qu’il faille un certain temps avant que ladite famille intervienne dans un premier temps par la voix – forte autorité si cache une fêlure du Père. Car Marina Hands profite largement – un peu trop même – d’une sorte d’introduction qui nous ramène à un autre attendu du théâtre d’aujourd’hui avec le metteur en scène et les vrais-faux comédiens en train de deviser sur ce qu’ils sont censés faire, ou ce qu’ils peuvent faire… Au moins ce long « prologue » aura-t-il permis de dessiner au mieux la figure du metteur en scène interprétée de belle et très drôle manière par Guillaume Gallienne en complicité avec Coraly Zahonero, Claire de La Rüe du Can et Nicolas Chupin reprenant à leur compte toutes les figures liées au lieu théâtral. À partir de là, le focus est essentiellement braqué sur la famille et ses composants. Eux aussi sont parfaits, emmenés par Thierry Hancisse et Adeline d’Hermy toujours, rage au ventre, impressionnants, le reste de la famille avec Clotilde de Bayser, Adrien Simion, Siméon Ruf, dans leurs partitions respectives, ne sont pas moins efficaces.

On l’aura compris, presqu’uniquement comédienne jusqu’à ce jour, Martina Hands fait la part belle à ses interprètes, ce n’est pas la moindre des qualités de son spectacle.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage