Un fascinant registre de jeu

Jean-Pierre Han

2 juin 2024

in Critiques

Du rêve que fut ma vie, de Camille Trouvé et Brice Berthoud. Théâtre 14, jusqu’au 15 juin, à 20 heures (jeudi 19 h, samedi 16 h). Tél. : 01 45 45 49 77. billetterie@theatre14.fr

74_AngesDuReve_(c) Vincent Muteau-min

Le moins que l’on puisse dire c’est que la figure de Camille Claudel semble hanter Les Anges au plafond, et plus particulièrement Camille Trouvé qui se charge d’incarner la sculptrice sur scène. En 2012 déjà Les Mains de Camille exploraient l’enfance de l’artiste. Deux ans plus tard le duo des Anges, Brice Berthoud et Camille Trouvé, revenait vers Camille Claudel, mais non pas forcément pour poursuivre une sorte de dessin de sa destinée, mais, en faisant un pas de côté ou plus exactement pour en approfondir certains de ses éléments fondamentaux, notamment du côté des écrits de celle qui finit sa vie dans une institution psychiatrique.

2014-2024, dix années donc d’une sorte d’enrichissement d’une sincère et profonde relation. L’axe de captation avait et a changé : cette fois-ci ce n’est plus tant un travail qui serait d’un ordre biographique (l’enfance au cœur de sa famille) que d’un ordre saisi dans ses multiples éclats prélevés dans des missives, des télégrammes, des billets, des lettres, etc. toutes choses étant rédigées par l’intéressée et pouvant être considérées comme relativement secondaires, mais qui peut-être, au bout du compte, se révélent parfaitement éclairantes dans son désordre et ses éclats même.

Du coup, sur le plateau, et même si, tout naturellement, c’est toujours Camille Trouvé qui incarne la sculptrice, de parfaite manière, ce ne sont plus des marionnettes qui l’accompagnent et développent un récit – celui d’une partie de sa vie – mais une multitude de signes tangibles pour éclairer cette part fondamentale de la personnalité déchirée de Camille Claudel. Comme s’il importait, et il importe bien effectivement, que ce soit la matérialité des écrits et des signes qui apparaissent sur scène et aux yeux des spectateurs, dans une relation étroite avec les interventions musicales – sont-ce des interventions tant elles sont entremêlées avec les signes d’écriture ? – de Fanny Lafargues. C’est Brice Berthoud, bien sûr, qui a réglé avec une belle précision cette partition scénique.

En d’autres termes, plus de marionnettes comme dans Les Mains de Camille, mais tout un travail –remarquable et fascinant – sur la matière papier, manipulée, transformée en diverses formes, déchirée, lacérées, reconfigurées, sculptées, et sur lesquelles s’inscrivent les signes noirs des diverses écritures dont Camille Claudel est l’autrice. Camille Trouvé virevolte parmi toute cette matière scripturale avec une parfaite maîtrise, en double de la figure perdue de celle dont le destin s’effaça petit à petit au cœur de l’institution psychiatrique. À ce stade, aussi bien dans le jeu que dans la manipulation de la matière papier ce qu’elle réalise en duo avec Fanny Lafargues est proprement fascinant.

Photo : © Vincent Muteau