Une belle entrée en matière

Jean-Pierre Han

20 mai 2024

in Critiques

Lunar comet de et par Aimée Lambert-wild. Spectacle vu à la Lucarne d’Arradon (près de Vannes) le 16 mai 2024.

Lunar Comet-_30A8618-©TonyGuillou

Il y a toujours quelque chose d’émouvant à assister à la naissance d’un(e) artiste, dans le léger tremblement de son dessin et sa fragilité même. C’est le cas pourrait-on croire dès l’abord pour Aimée Lambert-wild avec son premier spectacle, Lunar comet – un titre qui suscite trouble et interrogation, d’autant que c’est aussi le nom de sa compagnie ; comme s’il avait ici valeur de manifeste –. L’apparente fragilité de sa proposition se double, ou prend appui, sur une affirmation assumée. On peut aisément le comprendre au vu du parcours de cette toute jeune artiste, avant même ce premier essai de représentation. Outre l’environnement familial dans lequel elle a vécu et grandi, c’est en travaillant notamment au Japon dans des productions de la célèbre SPAC (la Shizuoka Performing Arts Center) qu’elle a pu faire connaissance avec l’une des fidèles interprètes de Satoshi Miyagi, bien connu en France parce que programmé à maintes reprises au Festival d’Avignon. Haruka Miyagashima n’a guère hésité pour intégrer la Lunar comet pour ce spectacle dans une sorte de parfaite symbiose. Plus, la création sonore du spectacle – c’en est authentiquement une – est signée Hiroka Tanakawa (avec Tomoo Nagai et Maël Baudet). Ces premiers éléments disent assez bien la méticulosité avec laquelle Aimée Lambert-wild a envisagé la conception générale de son spectacle lui conférant une certaine tonalité. Une tonalité qui doit tout ou partie à la présence d’un trio animal, Chipie de Brocéliande, une ânesse, Dolly Parton, une jument, et Armstrong Tsuki, un lapin Géant Papillon. C’est pour et avec eux, qu’Aimée Lambert-wild est entrée dans le monde de la création théâtrale, à sa manière très particulière et d’ores et déjà parfaitement gérée. Et c’est bien ainsi qu’elle entend définitivement poursuivre sa trajectoire. Théâtre équestre donc ? L’appellation ne saurait rendre compte totalement de ce qui est réalisé sur le plateau, et d’ailleurs qu’en est-il du lapin et bientôt d’un cochon qui attend son entrée en scène dans une prochain spectacle ? On est bien ici dans une sorte d’ailleurs que l’on ne saurait correctement qualifier ; Aimée Lambert-wild outrepasse d’ores et déjà toutes les catégories pour se retrouver dans un registre qui n’appartient qu’à elle. Pour notre plus grand plaisir.

Car Lunar Comet outrepasse effectivement toutes les catégories, et pour être encore fragile, et même parfois trop discrète dans son propos, n’en affirme pas moins une authentique originalité. Il se dégage de ce spectacle un étrange et très envoûtant parfum. C’est à une sorte de rêve auquel nous sommes conviés : couleurs et tonalités nous y invitent, surtout dans le vaste espace du théâtre de la Lucarne Arradon. Immensité des galaxies de l’imaginaire et si effectivement on songe aux toiles de Chagall comme on nous y invite, on pourrait tout aussi bien citer certaines œuvres de Picasso, alors qu’au plan littéraire on pourra songer à Cyrano de Bergerac – le vrai, pas celui de Rostand –,l’auteur de l’Histoire comique des États et Empire de la Lune… C’est dire ainsi dans quel univers Aimée Lambert-wild nous mène par la main avec Haruka Miyagishima dont la grâce régénère lentement la vieille femme qu’elle interprète en début de spectacle, chassant au loin l’ombre de la mort. Des images viennent subrepticement nous hanter : personnage longiligne tout de blanc vêtu, menant lentement par le licol la sage ânesse, ou chevauchant la jument ; rituel de vie et de mort… Il faut prendre le spectacle pour ce qu’il est : une entrée en matière qui impose un authentique et singulier univers.

C’est simplement beau.

Photo : © Tony Gillou