Révélations
Traverser la cendre de Michel Simonot. Mise en scène de Nadège Coste. Spectacle vu le 15 mai 2024 au Point d’eau à Ostwald (près de Strasbourg). Le spectacle est repris pour la saison 2024-25 à Anis Gras. Tournée en cours ensuite.
*Michel Simonot : Même arrachée in Ce qui (nous arrive), vol. 1. Ouvrage collectif. Espace 34. 128 pages, 17 euros.
*Michel Simonot : Traverser la cendre. Espaces 34 (Hors cadre), 62 pages, 13,50 euros.
Il faut le dire d’emblée, sans apprêt, la proposition théâtrale que vient de nous offrir Nadège Coste sur le texte de Michel Simonot, Traverser la cendre, est d’une absolue réussite, éminemment politique dans son propos bien sûr, mais aussi et surtout dans sa manière de l’envisager et de le présenter, de le jouer, en un mot d’en faire théâtre. Elle renvoie du même coup les responsables des « grands » spectacles avec déploiement spectaculaires à l’appui bien dans l’air du temps – qui par là-même ont l’heur de plaire à notre petite société bien confinée – à leurs chères études s’ils veulent bien encore apprendre quoi que ce soit, ayant atteint un degré de reconnaissance suffisant à leurs yeux.
Ce degré de reconnaissance, authentique celle-là, on aimerait bien qu’en toute légitimité Nadège Coste en bénéficie aujourd’hui tant son travail en deux temps est probant. Traverser la cendre en effet a été présenté avant (ou après c’est selon) ce que j’appellerai une sorte de laboratoire, Même arrachée, du même Michel Simonot. Elle y expérimente en effet différentes manières d’aborder et de porter à la scène la langue de l’auteur. Même arrachée éclaire Traverser la cendre et explicite la manière qu’a Nadège Coste de se saisir de la langue de Michel Simonot, de la décortiquer et de la mettre à nu jusqu’à l’os. La réponse à la question de savoir comment rendre compte théâtralement, sans la subvertir, la langue, ici arrachée, trouve une réponse pertinente sur le plateau de Traverser la cendre portée par le corps et la parole d’une comédienne exceptionnelle dans ce qu’elle nous propose, Laëtitia Pitz. Et sans doute fallait-il effectivement une comédienne de cette envergure et sachant ce que les mots veulent dire (ce que confirme avec éclat son récent travail – adaptation et mise en scène d’un texte de Thierry Froger, Sauve qui peut (la révolution) – l’un des meilleurs spectacles de la saison).
La gageure était pourtant, on s’en doute, d’envergure tant l’écriture de Michel Simonot est singulière, chant hoqueté de douleur et de rage – hurlement –, ni poème, ni récit, encore moins parole qui se voudrait théâtrale, mais une sorte de coulée sans cesse contrariée, en constante reprise ; une respiration au bord de l’extinction mais que personne ne saurait faire taire.
À consulter le parcours professionnel (depuis maintenant près de quinze ans) de Nadège Coste, l’évidence saute aux yeux : de Jon Fosse à Michel Simonot, en passant, entre autres, par Sarah Kane, Gilles Deleuze (et son Abécédaire), Philippe Malone ou encore Fabien Arca, c’est bien du côté de la langue, encore et toujours, que la metteure en scène œuvre. Sans doute fallait-il d’ailleurs ce parcours pour aboutir à ce point culminant qu’est son travail sur Traverser la cendre, une œuvre qu’elle porte à son point d’incandescence en raison de sa maîtrise de chacun de ses éléments (direction d’actrice, scénographie, lumières, son…). Sa direction de l’actrice, en ce point, est emblématique, elle relève d’ailleurs plus d’un parcours commun, d’une parfaite entente de lecture dans une intensité jamais démentie, état de tension toujours maîtrisée, corps et âme. Ce que réalise Laëtitia Pitz sur le plateau qu’elle parcourt en ses quatre points cardinaux en des trajectoires rectilignes, comme si elle tentait de quadriller l’espace d’un monde en pleine déréliction pour arracher la langue à ce qui ne serait qu’une simple lecture présentée en début de spectacle, alors qu’assise à une table elle entre comme par effraction dans l’univers, ou ce qu’il en reste, de l’auteur, pour en explorer chaque recoin. Avant qu’elle n’arpente l’espace proposé et agencé par Nadège Coste et qu’elle ne poursuive cette tentative dans la vibration maîtrisée de son corps.
C’est là en une heure de temps l’incontestable révélation d’une metteure en scène, Nadège Coste, et la confirmation du talent d’une actrice, Laëtitia Pitz au service de l’écriture d’entre les morts de Michel Simonot.
Photo : © Giovanni Di Legami