Un ballet de vanités

Jean-Pierre Han

2 mai 2024

in Critiques

L’Impresario de Smyrne (Scène de la vie d’opéra) de Carlo Goldoni. Adaptation de Monique Mélinand. Mise en scène de Laurent Pelly. Théâtre de l’Athénée jusqu’au 5 mai à 20 heures. Tél. : 01 53 05 19 19, puis tournée au théâtre de Caen du 22 au 24 mai.

(c)DominiqueBreda3

Il faut bien le dire, L’Impresario de Smyrne est une pièce mineure de Goldoni qui ne dut son succès à son époque, en 1759, qu’après que son auteur après l’avoir écrite en vers l’ait transformée en prose… C’est sans doute la raison pour laquelle Agathe Mélinand qui l’a traduite et qui en signe l’adaptation aujourd’hui n’a pas hésité à la mêler à une autre pièce encore moins connue de Goldoni, Le Théâtre comique, sans que cela nuise le moins du monde au propos du spectacle, bien au contraire.

Voici donc cette « nouvelle » œuvre dont la matrice selon les termes mêmes de son auteur « était, comme il le note dans ses Mémoires, une critique triomphale et très complète sur l’insolence des Acteurs et des Actrices, et sur l’indolence des Directeurs »… ; voici donc ces « scènes de la vie d’opéra » présentées par Laurent Pelly dont on se dit d’emblée qu’il est là dans un registre qui lui convient à merveille.

Il parvient cependant à nous surprendre dès l’abord avec son dispositif scénographique, constitué d’un énorme cadre installé de guingois sur le devant de la scène avec un plateau constitué de planches d’une belle blancheur, mais qui possède une légère déclivité qui demande aux acteurs une constante attention à leur équilibre, sauf à tomber ou à être précipité sur les premiers rangs du public. En fond de scène, entre deux tentures, un espace neutre destiné côté jardin aux trois instrumentistes de l’Ensemble Masque avec leurs instruments, alors que le reste de l’endroit est une sorte de no man’s, land, de hors jeu, que peuvent occuper les comédiens lorsqu’ils ne sont pas sous le feu des projecteurs…

Ce dispositif est emblématique de toute la représentation développée selon le regard de Laurent Pelly qui semble prendre un malin plaisir à jouer avec le propos, assez maigrelet, de Goldoni. Soit, toujours selon les explications de l’auteur, un riche marchand turc descendu à Venise et qui n’y connaît rien à l’Opéra, mais qui décide par « pure spéculation de commerce » de constituer une troupe d’opéra pour l’emmener à Istamboul pour y présenter un spectacle. Commence alors la ronde des postulants aux différents rôles, d’où cette rivalité acharnée entre trois prima donna venues de trois régions différentes, Venise, Bologne et Florence, et déjà rivales, avec Natalie Dessay en tout premier lieu et pour qui le rôle semble être taillé, Julie Mossay et Jeanne Piponnier ; même jeu de rivalité bien sûr côté masculin… entre paroles et airs lyriques. La vanité, les petites chamailleries et autres petits calculs des uns et des autres apparaissent au grand jour. Avec sa belle distribution Laurent Pelly accentue le trait avec le noir des costumes des actrices et des acteurs qui ne font que mieux ressortir les visages poudrés de blanc rappelant les masques de la commedia dell’arte. On est au bord du surjeu et de la caricature, comme s’il fallait à tout prix pallier le peu de profondeur de la pièce et même si, quand même, à certains moments le génie de Goldoni affleure, rendant « ces Scènes de la vie d’opéra » plutôt agréables à regarder et à entendre.

Photo : © Dominique Breda