Toutes les vies du monde
La Septième de Tristan Garcia. Adaptation et mise en scène de Marie-Christine Soma. Spectacle présenté au T2G-Théâtre de Gennevilliers du 23 au 28 avril. Tournée les 15 et 16 mai au CDN Orléans/Val de Loire. Tél. : 02 38 62 15 55.
C’est sans doute l’une des dangereuses vertus que l’art théâtral cultive : il n’y a rien qui semble pouvoir lui résister et qu’il ne puisse s’approprier. Des Essais de Montaigne à La Recherche du temps perdu de Marcel Proust, en passant par bien d’autres exemples, tout lui est bon pour qu’il puisse se déployer. À la longue liste des adaptations, étonnantes sinon improbables, on pourra désormais ajouter celle que Marie-Christine Soma a réalisé à partir du livre de Tristan Garcia, 7 (en chiffre et non en lettres). Un travail d’une réelle ambition qui n’aura pu être envisagé et pensé qu’avec la présence du comédien, seul en scène mais avec l’appui de la vidéo, Pierre-François Garel.
7, chiffre emblématique s’il en est, est une suite de sept petits romans, comme le stipule l’auteur et comme il est indiqué sur la couverture du livre, n’ayant apparemment pas de lien les uns avec les autres, et qui ne trouvent leur éventuelle résolution que dans le septième volet : c’est La Septième que Marie-Christine Soma nous livre donc, en toute légitimité, puisque ce septième opus livre la clé des autres parties qui a priori, n’avaient pas de lien les unes avec les autres, si ce n’est qu’à chaque fois ce n’était pas l’écriture d’une toute nouvelle vie – car c’est bien de cela dont il semble être question – qui nous était proposée, mais celle ayant absorbé la précédente. À la septième effectivement tout semble s’éclairer puisque c’est l’accumulation des six précédentes qui la nourrisse en se découvrant, espaces et temps mêlés, reconfigurés. On ne s’étonnera pas dès lors de savoir qu’un pacte a été signé au départ accordant l’immortalité au personnage principal encore enfant (il a alors, bien sûr, 7 ans !). À partir de là les vies s’accumulent les unes aux autres dont elles gardent la vivante mémoire, ailleurs, autrement – éternel recommencement – dans des registres toujours renouvelés. Il y a là, évidemment, quelque chose de l’ordre du fantastique, le personnage principal finissant par naviguer dans une sorte de quatrième dimension.
On aura compris que Marie-Christine Soma était confrontée à une véritable gageure. Si elle n’adapte que La Septième – sage décision – elle a néanmoins recours à la vidéo pour revenir sur des faits des romans précédents qui éclairent le cheminement – et l’égarement ? – du personnage principal. La transposition du roman au théâtre trouve alors sa justification. Cette justification, elle la trouve notamment, c’est une lapalissade, dans son travail sur la vidéo et les images du film (Pierre Martin Oriol et Marie Demaison, Alexis Kavyrchine) projetées sur l’écran posé sur scène sans encombrer le plateau savamment désorganisé avec son bric-à-brac par Mathieu Lorry-Dupuy. Tout est fait, on l'a compris, pour que la puissance liée à la subtilité du jeu de Pierre-François Garel puisse alors trouver à s’exprimer de la meilleur des manières.
On l’avait déjà vu récemment sous la direction de Krystian Lupa dans les Émigrants (tout comme Mélodie Richard que l’on retrouve ici à l’écran), on le retrouve ici assumant le rôle du narrateur, et c’est époustouflant aussi bien dans sa gestuelle, dans sa manière d’habiter l’espace (on devrait dire les espaces) que dans sa façon de ciseler le texte donnant à penser qu’au bout du compte il donne vie à tous les personnages des précédents épisodes, les rassemblant ainsi dans un exercice de haute voltige. Il nous fascine ainsi 2 heures 30 durant dans un art qu’il maîtrise à la perfection dans un état de constante tension ; impossible à ce stade aussi de ne pas parler de la direction d’acteur dont la responsabilité revient à Marie-Christine Soma. Une belle osmose.
Photo : © Christophe Raynaud de Lage