Un "Macbeth" d'outre-tombe

Jean-Pierre Han

4 avril 2024

in Critiques

Macbeth, d’après Shakespeare. Adaptation et mise en scène Silvia Costa. Comédie-Française, jusqu’au 20 juillet à 20 h 30. Tél. 01 44 58 15 15. comedie-francaise.fr

Alain Lenglet et Suliane Brahim dans Macbeth, Salle Richelieu © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

La superstition le veut, et donc pour conjurer le mauvais sort, on évitera d’écrire et de prononcer le titre du spectacle de Shakespeare qui se donne salle Richelieu à la Comédie-Française dans une mise en scène de Silvia Costa, une artiste italienne qui a longtemps travaillé à la Societas Raffaello Sanzio avec Romeo Castelluci, diplômée en arts visuels et connue pour ses réalisations dans l’art lyrique. Toutes choses qui influent largement dans le développement du présent spectacle que l’on pourrait toujours rebaptiser Lady Macbeth tant l’objectif, au sens photographique du terme, est focalisé sur ce personnage interprété par Julie Sicard.

Cela dit, superstition ou pas, avec changement de titre ou pas, la représentation proposée par Silvia Costa, qui a elle-même adapté le texte traduit par Yves Bonnefoy, ne changera rien à l’affaire tant elle s’avère à certains égards plutôt décevante. Non pas dans son intention intellectuelle que l’on comprend parfaitement, mais plutôt dans sa traduction scénique pourtant esthétiquement très soignée (Silvia Costa signe elle-même la scénographie), qui finit par s’étioler au fil de la représentation jusqu’à nous plonger dans un ennui profond. Le parti pris semble répondre au vers de Gérard de Nerval lorsqu’il évoquait le « soleil noir de la mélancolie », et prend pour ainsi dire au pied de la lettre le mot prononcé par Macbeth en fin de parcours selon lequel « la vie n’est qu’une ombre qui passe »…

C’est un spectacle en noir et blanc avec taches de rouge que nous offre Silvia Costa, et certes cela est d’une certaine beauté, les images sont fortes, notamment en tout début de parcours avec Julie Sicard (lady Macbeth et/ou compagne des trois sorcières de la pièce ?), assise sur le devant de la scène nue avec juste le portrait de son mari au-dessus d’elle. Longue chevelure lui cachant le visage, saisie de quelques brefs mouvements convulsifs, elle est là à l’entrée des spectateurs, dans une sorte d’attente du déclenchement de la machine infernale… dont la mécanique est clairement dévoilée (voire soulignée) par Silvia Costa dès l’ouverture du rideau après que Lady Macbeth ait lacéré le tableau et ait craché dessus en sortant. Superbe anneau géant descendu des cintres et sur lequel est inscrit « Ante faciem tuam ibi mors » (« Devant ton visage il y a la mort ») la machine infernale peut se mettre en route, mais déjà tout est superbement dit, le reste n’est que répétition et finit par s’étioler, les comédiens, Noam Morgensztern en tête dans ce qui devrait être le rôle-titre, finit par se faire absorber par l’ambiance générale. Ils ne sont pourtant que huit – Silvia Costa a resserré la distribution par soucis d’efficacité –, mais eux aussi se laissent absorber par l’ambiance générale au lent, très lent tempo, et finissent par ne devenir que des ombres mécaniques. Des fantômes en somme, déjà. Tout cela est d’autant plus rageant que chaque élément (scénographie, costumes, lumières, travail musical et sonore) est en soi parfait : c’est pourtant l’ensemble qui ne fonctionne pas.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage