Copi sans surprise

Caroline Châtelet

2 février 2024

in Critiques

40° sous zéro par le Munstrum Théâtre. Mise en scène de Louis Arène. Spectacle vu au Théâtre du Rond-Point en janvier 2024.

Tournée du 7 au 10 février au théâtre des Célestins (Lyon), puis les 13 et 14 février à la Comédie de Valence. CDN de Valence.

Darek Szuster

Comment monter Copi ? Intrinsèque à tout travail de mise en scène, cette question se pose avec une acuité particulière lorsqu'il s'agit de Raúl Damonte Botana. Arrivé à Paris en 1963, mort du sida en 1987 à l'âge de 48 ans, l'artiste argentin – qui fut comédien, metteur en scène, auteur de pièces, de romans, de nouvelles et dessinateur pour divers journaux – a laissé une œuvre exubérante, baroque. Évoquant sa personnalité, Thibaud Croisy (qui signe la postface de la réédition en 2022 des deux pièces dont il est ici question) la qualifie de « hors catégorie », terme où se dit le glissement de la personne à l'œuvre. Dans les pièces de Copi, on trouve quasiment tout : absurde, ironie, cruauté, mort, travestissement, farce, tragédie, références à l'histoire du théâtre, transgression, etc. Complexes en ce qu'elles déjouent les codes et se révèlent rétives à l'interprétation, ces pièces posent également la question de l'excès : jusqu'à quel point pousser ce curseur, qu'il s'agisse des artifices scéniques comme du jeu, quand tout déjà vrille, explose, déborde, dans les dialogues comme dans les situations ? À cela, le Munstrum théâtre répond avec une proposition certes extrêmement maîtrisée, mais qui en forçant trop le trait neutralise la puissance du propos. Intitulant son spectacle 40° sous zéro, la compagnie emmenée par Lionel Lingelser et Louis Arene enchaîne L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer (créée en 1971) et Les quatre Jumelles (créée en 1973). Se déroulant dans des scénographies dominées par les gris, s'ouvrant et se clôturant par des reprises de chansons issues de la culture mainstream et pop (Cindy Lauper, Radiohead…) les deux s'enchaînent avec fluidité et à grande vitesse. Dans l'une, l'histoire se passe en Sibérie, chez deux femmes trans. Irina, la plus jeune, perd le fœtus juste après avoir annoncé sa grossesse à Madre, qui l'étouffe de ses attentions. Débarque Madame Garbo, professeure de piano d'Irina et selon ses dires le père de l'enfant avorté. Madre et Garbo pressent Irina de questions et veulent connaître son passé autant que décider de son futur – cette dernière optant pour une tenace versatilité. Dans l'autre, deux paires de jumelles s'affrontent. Entre le quadrille et le western, ces junkies maniant les armes diverses, projetant des départs vers des ailleurs, se relèvent de la mort et ne cessent d'y retourner, comme si elles trouvaient là l'énergie nécessaire pour continuer. Outre les retournements de situation et les changements de cap perpétuels des personnages ; les références théâtrales (Claudel, Feydeau, Tchekhov pour l'une, Ionesco pour l'autre) ; le point commun entre ces textes est la déterritorialisation. À la Sibérie de L'Homosexuel… répond l'Alaska des Jumelles. Évoquant des territoires stériles, bien peu hospitaliers et que les protagonistes ne cessent de vouloir fuir, les scénographies affirment un univers loin de tout réalisme. La noirceur dominante n'en fait que plus ressortir le jeu outré comme l'étrangeté baroque des costumes et le trouble diffus né face aux visages masqués et grimés. Des masques quasiment tous identiques qui effacent les singularités et participent du trouble dans le genre, de la mise à distance. À ce choix de masques emblématique de sa démarche, le Munstrum ajoute le déploiement d'une esthétique camp. « Façon de voir le monde comme un phénomène esthétique » comme l'a théorisé Susan Sontag (1964), le camp est une pratique et une esthétique liée à la culture gay qui s'est diffusée dans les performances de drag, et reposant sur un degré élevé d'artifice et de stylisation. Si cette parentèle est évidente et résonne dans l'excès, la théâtralisation à l'outrance, la revendication de personnages proche de la « folle », la dépense de fluides (cris, larmes, sang, sueur), la colère excessive, comme dans les costumes, elle achoppe néanmoins à dépasser le seul décorum. On dirait du camp, certes, mais du camp adapté pour le théâtre, et qui en respectant un peu trop parfaitement les codes de cet art en vient à lorgner au final plus vers la gaudriole que vers le dérangeant. Vers le vaudeville ou la farce peu subtile que vers la prise à bras le corps de tout ce que le théâtre de Copi contient de crispant, grinçant, déroutant. Et si ces choix – au final très conventionnels – suscitent une adhésion directe chez nombre de spectateurs, ils en viennent à faire écran à la complexité (teintée de noirceur et d'inquiétude) des écrits de cet auteur…Comment monter Copi ? Intrinsèque à tout travail de mise en scène, cette question se pose avec une acuité particulière lorsqu'il s'agit de Raúl Damonte Botana. Arrivé à Paris en 1963, mort du sida en 1987 à l'âge de 48 ans, l'artiste argentin – qui fut comédien, metteur en scène, auteur de pièces, de romans, de nouvelles et dessinateur pour divers journaux – a laissé une œuvre exubérante, baroque. Évoquant sa personnalité, Thibaud Croisy (qui signe la postface de la réédition en 2022 des deux pièces dont il est ici question) la qualifie de « hors catégorie », terme où se dit le glissement de la personne à l'œuvre. Dans les pièces de Copi, on trouve quasiment tout : absurde, ironie, cruauté, mort, travestissement, farce, tragédie, références à l'histoire du théâtre, transgression, etc. Complexes en ce qu'elles déjouent les codes et se révèlent rétives à l'interprétation, ces pièces posent également la question de l'excès : jusqu'à quel point pousser ce curseur, qu'il s'agisse des artifices scéniques comme du jeu, quand tout déjà vrille, explose, déborde, dans les dialogues comme dans les situations ? À cela, le Munstrum théâtre répond avec une proposition certes extrêmement maîtrisée, mais qui en forçant trop le trait neutralise la puissance du propos. Intitulant son spectacle 40° sous zéro, la compagnie emmenée par Lionel Lingelser et Louis Arene enchaîne L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer (créée en 1971) et Les quatre Jumelles (créée en 1973). Se déroulant dans des scénographies dominées par les gris, s'ouvrant et se clôturant par des reprises de chansons issues de la culture mainstream et pop (Cindy Lauper, Radiohead…) les deux s'enchaînent avec fluidité et à grande vitesse. Dans l'une, l'histoire se passe en Sibérie, chez deux femmes trans. Irina, la plus jeune, perd le fœtus juste après avoir annoncé sa grossesse à Madre, qui l'étouffe de ses attentions. Débarque Madame Garbo, professeure de piano d'Irina et selon ses dires le père de l'enfant avorté. Madre et Garbo pressent Irina de questions et veulent connaître son passé autant que décider de son futur – cette dernière optant pour une tenace versatilité. Dans l'autre, deux paires de jumelles s'affrontent. Entre le quadrille et le western, ces junkies maniant les armes diverses, projetant des départs vers des ailleurs, se relèvent de la mort et ne cessent d'y retourner, comme si elles trouvaient là l'énergie nécessaire pour continuer. Outre les retournements de situation et les changements de cap perpétuels des personnages ; les références théâtrales (Claudel, Feydeau, Tchekhov pour l'une, Ionesco pour l'autre) ; le point commun entre ces textes est la déterritorialisation. À la Sibérie de L'Homosexuel… répond l'Alaska des Jumelles. Évoquant des territoires stériles, bien peu hospitaliers et que les protagonistes ne cessent de vouloir fuir, les scénographies affirment un univers loin de tout réalisme. La noirceur dominante n'en fait que plus ressortir le jeu outré comme l'étrangeté baroque des costumes et le trouble diffus né face aux visages masqués et grimés. Des masques quasiment tous identiques qui effacent les singularités et participent du trouble dans le genre, de la mise à distance. À ce choix de masques emblématique de sa démarche, le Munstrum ajoute le déploiement d'une esthétique camp. « Façon de voir le monde comme un phénomène esthétique » comme l'a théorisé Susan Sontag (1964), le camp est une pratique et une esthétique liée à la culture gay qui s'est diffusée dans les performances de drag, et reposant sur un degré élevé d'artifice et de stylisation. Si cette parentèle est évidente et résonne dans l'excès, la théâtralisation à l'outrance, la revendication de personnages proche de la « folle », la dépense de fluides (cris, larmes, sang, sueur), la colère excessive, comme dans les costumes, elle achoppe néanmoins à dépasser le seul décorum. On dirait du camp, certes, mais du camp adapté pour le théâtre, et qui en respectant un peu trop parfaitement les codes de cet art en vient à lorgner au final plus vers la gaudriole que vers le dérangeant. Vers le vaudeville ou la farce peu subtile que vers la prise à bras le corps de tout ce que le théâtre de Copi contient de crispant, grinçant, déroutant. Et si ces choix – au final très conventionnels – suscitent une adhésion directe chez nombre de spectateurs, ils en viennent à faire écran à la complexité (teintée de noirceur et d'inquiétude) des écrits de cet auteur…

Photo : © Darek Szuster