Colette et son double

Jean-Pierre Han

28 janvier 2024

in Critiques

Music Hall Colette. De Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux. Adaptation et mise en scène de Léna Bréban. Théâtre Tristan Bernard. Jusqu’au 30 mars 2024, les jeudis, vendredis, samedis à 19 heures. Tél. : Tél. : 01 45 22 08 40.

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C’est une sacrée gageure que de vouloir en une heure quinze de spectacle tenter de dérouler le fil de la vie d’une personnalité, qui plus est lorsque celle-ci s’appelle Sidonie-Gabrielle Colette. Colette, comme on l’appelle simplement, aura en effet vécu sinon plusieurs vies, du moins, aussi bien dans sa vie intime que dans sa vie professionnelle (les deux étant d’ailleurs parfois étroitement liées), investi et exploré des univers parfois différents les uns des autres. Romancière, journaliste, critique, comédienne, artiste de music-hall… que sais-je encore, mais avant tout – authentique fil rouge – femme libre et le revendiquant ardemment. Inutile de dire qu’en son temps, elle est née en 1873, celui de la Belle Époque, elle ne manqua pas de faire scandale, avant dans la dernière partie de sa vie d’être honorée, et pour finir, à sa mort en 1954, d’être la première femme en France à recevoir des funérailles nationales par lesquelles, avec la projection d’un film d’actualité sur un rideau de scène mouvant particulier, débute le spectacle de Cléo Sénia et de Lena Bréban. Le ton du spectacle tout entier étant donné par les quelques commentaires narquois que la comédienne chargée d’incarner Colette ne manque pas d’émettre, en passant, à la vue des images de personnalités compassées pleurant la chère disparue…

Petit prologue en noir et blanc ainsi réalisé, reviennent alors les lumières, celles du music-hall – belle justesse du titre – celui de la vie à pleine dents, et cette fois-ci ce sera au spectateur d’être fasciné, ébloui par les multiples incarnations de Cléo Sénia, seule en scène. Pas tout à fait cependant puisqu’un double (sur écran) interviendra régulièrement pour la contredire et apporter une touche de dérision. La scénographie de Marie Hervé et les images de Julien Dubois autorisent avec justesse le déploiement du talent de l’interprète aux multiples talents dans tous les registres de jeu, comédienne certes, mais aussi chanteuse, danseuse, artiste de cabaret, le tout dans une maîtrise absolue avec une pointe de distanciation bienvenue. C’est donc la vie de Colette qui se déroule devant nos yeux. Une vie qui ne cache rien – il ne s’agit pas d’une hagiographie – et dont Cléo Sénia en personne avec Alexandre Zambeaux ont su tirer le suc avec une belle intelligence. Leur travail est remarquable tout comme celui, dans l’ombre, de la metteure en scène Léna Bréban qui a aussi mis la main à la pâte en adaptant le travail d’écriture du duo Sénia-Zambeaux et qui, surtout a réalisé un travail d’une grande rigueur, tenu de bout en bout. C’est ce travail commun de toute une équipe qu’il faut mettre en exergue, par-delà la réelle virtuosité de Cléo Sénia.

Un pur moment de bonheur d’une grande intelligence et de toute beauté.

Photo : © Julien Piffaut