Un manifeste féministe de bon aloi

Jean-Pierre Han

13 janvier 2024

in Critiques

Cosmos de Kevin Keiss, avec la collaboration de Maëlle Poésy. Mise en scène de Maëlle Poésy. Théâtre Gérard-Phillipe de Saint-Denis (CDN). Jusqu’au 21 janvier à 20 heures, samedi à 18 heures, dimanche à 15 h 30.  Puis tournée nationale : Châtenay-Malabry, Toulouse, Saint-Etienne, etc. Tél. : 01 48 13 70 00. www.theatregerardphilipe.com

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De spectacle en spectacle, Maëlle Poésy qui dirige le CDN de Dijon-Bourgogne affermit son propos de manière parfaitement cohérente. À saisir ainsi sa dernière création, Cosmos (qui n’a rien à voir avec le roman de Gombrowicz), on peut considérer qu’elle se situe dans la droite ligne de la performance-installation qu’elle avait créée conjointement avec la plasticienne-photographe Noémie Goudal lors du festival d’Avignon en 2022. Les deux jeunes femmes s’inspiraient des recherches en paléontologie en milieu clos, explorant nos sensations et nos repères spatiaux et temporels. Interroger et mettre en question ces repères, c’est très exactement ce qu’entreprend Maëlle Poésy dans sa dernière création, ouvrant d’ailleurs son spectacle avec une vraie-fausse astrophysicienne chilienne, Dominique Joannon et une non moins vraie-fausse astrobiologiste, Elphège Kongombe Yamale, pour lancer le débat, jouant dès l’abord sur la dualité entre le réel et la fiction. Ce petit et savoureux préambule avant que l’une des parois du décor ne soit cassée et laisse passer des astronautes… heureuses de se retrouver dans l’espace du plateau (et donc de la fiction) pour y développer leur fable. Nous voilà donc plongés après l’entame en forme de mini-conférence dans le récit-fiction qui tiendra lieu de fil conducteur du spectacle tiré de la réalité d’il y a plus d’une demi-siècle. Cette réalité est celle du début des années 1960 aux États-Unis avec l’histoire d’un groupe de femmes – 13 au total triées sur le volet – admises à participer au programme de « Mercury 13 » mis sur pied pour s’engager dans la course que le pays livre avec l’URSS pour être le premier à envoyer une femme dans l’espace. Bien commencé, le programme est brutalement arrêté au seul motif que toutes ces Américaines, pilotes de ligne aguerries, ne peuvent aller dans l’espace n’étant pas (n’étant pas autorisées) pilotes de chasse comme le soulignera un ancien astronaute. États-Unis des années 1960 ; cela fait à peine quelques petites années que le maccarthysme a dû battre en retraite, restent les mentalités bien machistes ; halte au rêve évoqué, affirmé, crié de ces femmes décidées à côtoyer les étoiles, à pénétrer une autre dimension spatiale et temporelle. Il est vrai que dans leur combat mené avec une détermination sans faille, leur concéder la moindre parcelle de liberté serait ouvrir la voie à des revendications d’autres « minorités »… On connaît le refrain.

Maëlle Poésy s’est donc emparée de cette histoire qui braque ses projecteurs sur notamment trois de ces pionnières, en a confié l’écriture – comme souvent – à Kevin Keiss avec lequel elle a – comme souvent aussi – collaboré pour nous donner une fable forte et exemplaire. D’autant plus forte que le travail au plateau est réalisé avec une réelle intelligence, dans une parfaite cohérence, je l’ai dit, entre tous les éléments. De la scénographie réalisée par Hélène Jourdan qui permet de sérier différentes aires de jeu, à la direction d’acteurs (pardon d’actrices ; il n’y a que des femmes dans ce spectacle), toutes bien campées et incarnées dans leurs rôles : le trio majeur d’aspirantes astronautes avec Caroline Arrouas, Liza Lapert et Mathilde-Edith Mennetrier, rejointes par les deux pseudo scientifiques déjà citées. Déjà dans 7 minutes de Stefano Massini, pour ne prendre qu’un seul exemple, en dirigeant avec une belle rigueur les dix comédiennes de la distribution, Maëlle Poésy avait fait étalage de son talent de directrice d’actrices, elle récidive ici avec « seulement » cinq comédiennes, mais avec ce supplément d’« âme » qu’elle entremêle avec d’autres registres de jeu : Dominique Joannon et Liza Lapert sont également circassiennes et apportent discrètement une touche qui, réellement, et sans vilain jeu de mots, porte le spectacle vers d’autres cieux. La chorégraphie de Leïla Ka apporte sa touche et unifie le tout qui est parfaitement maîtrisé, de la lumière au son en passant par la vidéo.

Photo : © Jean-Louis Fernandez