"Andromaque" : le compte n'y est pas

Jean-Pierre Han

7 décembre 2023

in Critiques

Andromaque de Racine. Mise en scène de Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe. Jusqu’au 22 décembre à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40. www. theatre-odeon.eu

Andromaque - 04-11-23 - Simon Gosselin-45

À l’évidence Stéphane Braunchweig entretient avec l’œuvre de Racine une relation privilégiée. C’est en effet, avec cette mise en scène d’Andromaque, la troisième fois qu’il explore l’univers du poète tragique. Après Britannicus, après Iphigénie. Si l’on s’en tient à la chronologie des trois pièces, Braunschweig semble remonter le temps, puisqu’Andromaque fut la première écrite, en 1667 – l’auteur n’a alors que vingt-huit ans – alors que Britannicus date de 1669 et Iphigénie de 1674. On remarquera par ailleurs qu’Iphigénie et Andromaque enserrent – ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard – le même événement, la guerre de Troie… On ne peut qu’accorder crédit au metteur en scène lorsque dans ses propos retranscrits dans le dossier de presse (plutôt bien composé, ce n’est pas si fréquent) il fait de cette guerre l’élément majeur de ces pièces. Dès lors, Andromaque, à ses yeux, est « une pièce post-traumatique », la guerre ne laissant qu’un « « paysage dévasté », avec des survivants. Et d’insister, sans doute pour se dégager de la « boutade fameuse » pour reprendre l’expression de Charles Mauron : « Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort », une « telle suite de personnages… courant les uns derrière les autres et derrière un fantôme » constituant, selon Jean Ristat cette fois-ci, une tragédie et d’ajouter que « cette phrase est la partition, la règle du jeu ». Pour Stéphane Braunschweig, pour revenir à lui, au bout du compte, « ce n’est pas l’amour, c’est la guerre (de Troie) qui rend fou, cette guerre qui est peut-être la folie même »… On aura compris que sa « décision de passer enfin à la mise en scène vient notamment des résonances que trouve l’œuvre de Racine avec notre époque », mais s’il tente « une lecture de la pièce à l’aune de notre époque », c’est en faisant en sorte « de ne jamais l’actualiser ». Dont acte.

Nous en sommes bien d’accord, je le répète, mais qu’en est-il réellement de la représentation scénique proposée par Stéphane Braunschweig, comme toujours dans sa propre et très belle scénographie (avec l’aide d’Alexandre de Dardel) ? Une flaque rouge sang au sol qui se reflète sur les murs nus et sur laquelle on trouve une simple table nappée de blanc (avec bouteille de whisky posée dessus) et quelques chaises renversées… C’est donc dans cet univers que va se jouer la partie d’échec entre les différents protagonistes. Et c’est précisément en cet endroit que le bât blesse. Si effectivement on entend bien le texte que certains spectateurs semblent ainsi découvrir, la partition est « prosaïsée », j’emprunte l’expression à Antoine Vitez qui, en 1971, s’était attaqué à la pièce. Les vers et leur rythmique n’y sont plus, ce qui produit un effet d’aplatissement du texte à qui les éructations ponctuels des uns et des autres ne rehaussent pas. Les personnages sont perdus, fantômes parmi les fantômes, et sans doute le sont-ils dans la pièce, mais cette fois-ci ce sont les comédiens qui semblent perdus, ne sachant pas trop quoi faire, mains dans les poches, comme la pourtant excellente Chloé Réjon dans le rôle d’Hermione, ou au contraire à brasser l’air (oh les mouvements des bras et des mains appuyant leurs dires dans une parfaite redondance !). Quant à la vraie-fausse actualisation de la pièce, on frémit de voir Pyrrhus (Alexandre Pallu) en treillis, manches retroussées… Le tout se terminant par l’apparition finale d’Andromaque (Bénédicte Cerutti), toute de blanc vêtue sortant du fond de scène et s’avançant vers le public comme en un salut final : pour être volontairement majestueuse, cette scène était-elle vraiment nécessaire ?

Photo : © Simon Gosselin