Un rêve de Robin Renucci

Jean-Pierre Han

15 novembre 2023

in Critiques

À la paix ! d’après Aristophane, adaptation de Robin Renucci et Serge Valletti. Mise en scène de Robin Renucci. Théâtre national de la Criée, CDN de Marseille. Jusqu’au 26 novembre à 20 heures, mercredi à 19 heures, dimanche à 16 heures. Tél. : 04 91 54 70 54.

À La paix ! Nouvelle traduction de Robin Renucci et Serge Valletti. Chez Walter éditeur. 160 pages, 5 euros.

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Pour son premier spectacle créé au CDN de la Criée de Marseille qu’il dirige désormais, Robin Renucci que l’on connaît et apprécie pour son travail sur le vers racinien notamment (il y a encore peu il nous donnait quatre pièces de Racine d’une belle rigueur) change totalement de registre. C’est vers Aristophane qu’il a décidé de se tourner, et en homme avisé il a bien sûr demandé au marseillais Serge Valletti de lui prêter main forte dans cette équipée (car c’en est effectivement une), ce qui était faire preuve d’un réel discernement. En effet, à n’en pas douter Serge Valletti à l’Aristophane chevillé au corps (on pourrait appeler ça l’« aristophanite » aigüe !) ; n’a-t-il pas traduit – enfin adapté à la marseillaise –, en six volumes, toute l’œuvre du dramaturge grec sous le titre de « Toutaristophane » ? À la paix ! faisait bien sûr partie du lot. Car c’est bien cette pièce que Robin Renucci a choisi de présenter au public de Marseille et de la région (avant peut-être de s’en aller vers d’autres contrées ?). Inutile, de s’appesantir sur l’actualité du propos, ou tout au moins sur le vœu émis par le biais du point d’exclamation du titre !… Inutile aussi de dire que Robin Renucci se devait bien sûr de mettre la main à la pâte de la nouvelle traduction de la pièce. Ce qui tombait plutôt bien puisque la traduction-adaptation de Valletti s’appuyait sur la version qu’il en avait et qu’il croyait unique. Or voilà – voyez comme les choses s’agencent bien – que notre auteur découvre une deuxième mouture de la pièce, et c’est sur cette dernière que Robin Renucci et lui-même ont travaillé. Tout en rajoutant plusieurs rôles féminins, en resserrant le propos pour lui imposer un rythme d’enfer en le rendant, on s’en doute, plus impétueux que le précédent.

E la nave va… avec cette idée bien ancrée dans la tête du metteur en scène d’aller plus avant encore dans sa manière d’agir, de faire théâtre : présenter la pièce, certes, mais tenter aussi et surtout de toucher le fameux public du lieu dans son cœur même… en le faisant participer ? Pas vraiment, mais en cassant la barrière symbolique de la scène et de la salle ; les comédiens investissent la salle, y jouent, apostrophent gentiment les spectateurs. Cette volonté affirmée de Robin Renucci va même plus loin. Et de nous expliquer que si le spectacle est très relativement court, c’est tout simplement pour qu’acteurs et spectateurs puissent poursuivre le dialogue hors de la salle, et évoquer cette histoire d’improbable paix. Faire lien avec autrui ; l’ambition de Robin Renucci à l’aube de sa mandature à la Criée est immense, presque qu’utopique ?

Cependant c’est bien tout de même sur le plateau que les choses se passent, ou tout au moins peuvent se passer ! Là, avec quelques ratés, à l’image de la machine plantée sur le plateau dès le début du spectacle, une machine qui ne se nourrit que des excréments des pauvres humains, mais qui permettra enfin au personnage principal, un certain Yves Rogne, d’aller interpeller les dieux si peu en capacité d’établir la paix ici bas… Le ton est ainsi donné d’emblée : « hénaurme », ubuesque… on ne sait quel vocable utiliser. La petite troupe réunie pour l’occasion s’échine à réaliser le rêve de Robin Renucci, ce qui est loin d’être pour l’heure chose acquise car l’amalgame entre les professionnels (impeccables, Guillaume Pottier en tête) et les amateurs n’est pas toujours évident. C’est réellement d’un autre théâtre dont rêve Robin Renucci ; À la paix ! n’est que la première étape d'un long chemin.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage