Épanouissement novarinien
Les Personnages de la pensée de Valère Novarina, mise en scène de l’auteur. Théâtre national de la Colline, jusqu’au 26 novembre à 19 h 30. Tél. : 01 44 62 52 52
Le texte de la pièce est publié aux éditions P.O.L. 284 pages, 18 euros.
À creuser au fil des ans, jour après jour, heure après heure, le même sillon, il fallait bien que Valère Novarina en arrive avec son dernier spectacle, Les Personnages de la pensée, à une sorte de plénitude concernant l’objet de sa pensée, à une sorte de totale liberté. Le titre déjà est parfaitement emblématique de sa recherche, et, à vrai dire, ce sont bien tous les titres de ses ouvrages-spectacles qui le sont jusqu’à l’avant-dernier, La Clef des langues… Il suffirait d’ailleurs de tous les étudier en les mettant côte à côte pour dessiner sa trajectoire intellectuelle, ce que fera peut-être dans quelques mois le Dictionnaire sauvage à lui consacré.
Dans Les Personnages de la pensée (le titre y invite) en voici comme le récapitulatif. Ils sont tous là en effet, de L’Ouvrier du drame (superbe Claire Sermonne) à tous ses complices comme Monsieur et Madame Boucaut, Bouche, Oreille et bien d’autres, et avec même quelques comédiens, pour de vrai, mais devenus, à force, personnages, comme Valérie Vinci et Nicolas Struve, et d’autres aujourd’hui disparus mais revenus vivre le temps de la représentation, Christine Fersen, Bernard Ballet, Tsilla Chelton, Anne Wiazemski, pour se mêler à la foule de ceux tout droit sortis de l’imagination de l’auteur depuis des lustres. Avec bien sûr les nouveaux venus, car Novarina aime à entremêler l’ancien et le nouveau…
La Clef des langues donc réalisée par et avec Les Personnages de la pensée : tout est dit. Et Novarina se lâche complètement, règle ses comptes avec l’écriture inclusive (oh, le régal !), passe par le vocatif, l’adresse, le subjonctif, etc. dans une ouverture totale. On ne l’avait jamais vu à pareille fête. Le tout relayé, réglé avec clarté sur le plateau. Il y a pour ainsi dire, une sorte de sérénité (mais oui !) dans le déluge verbal relayé par le travail de plateau, un plateau, celui de la Colline, qu’il connaît particulièrement bien pour l’avoir maintes et maintes fois occupé, bouleversé et dompté tout à la fois. Cette fois-ci encore mieux avec ses peintures, furieux motifs d’une pensée en gestation (la scénographie est d’Emmanuel Clolus, les lumières de Joël Hourbeigt). La maîtrise des éléments est totale dans son éruption.
Et bien sûr, la troupe, qui mêle les éléments de son univers, dans une maîtrise (j’y reviens) et une rigueur quasi mathématique, avec les novariniens patentés que l’on attend et revoit avec un immense plaisir, Agnès Sourdillon, Manuel le Lièvre notamment dans une « hénaurme » séquence, René Turquois, Nicolas Struve, Valérie Vinci, Claire Sermonne et les nouveaux venus, Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Sylvain Levitte, Liza Alegris Ndikita (déjà en approche de l’univers de l’auteur avec Bellorini), sans oublier les incontournables, l’accordéoniste Christian Paccoud avec cette fois-ci le violoniste Mathias Lévy.
Novarina rend gorge au langage et à la parole. « Jusqu’à épuisement ». Tout cela sous l’ombre grandissante de la mort. C’est simplement superbe.
Photo : © Tuong Vi Nguyen