Aux sources du jeu théâtral

Jean-Pierre Han

24 octobre 2023

in Critiques

Combats de Nicolas Doutey, mise en scène d’Adrien Béal. Spectacle en itinérance, vu au T2Gennevilliers. Prochaine étape en janvier 2024 au Théâtre des 13 vents-CDN de Montpellier.

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À connaître, même succinctement, les lignes des parcours respectifs de Nicolas Doutey en tant qu’auteur et d’Adrien Béal en tant que directeur et metteur en scène de compagnie, on se dit, à voir et à entendre ces fameux Combats, issus d’un dispositif de production particulier mettant en jeu trois institutions, le Théâtre national de Strasbourg, les CDN de Montpellier et du T2G, on se dit que les deux hommes de théâtre étaient clairement faits pour se rencontrer, tant leur entente est ici parfaite. Dans une sorte de complémentarité exemplaire pour nous livrer avec les comédiens, Émile-Samory Fofana, Ada Harb, Pauline Vallé et Cindy Vincent, tous quatre issus d’un programme de formation particulier, 1er acte, un « objet » théâtral particulièrement réussi et réjouissant.

Avec ces Combats Nicolas Doutey et Adrien Béal retrouvent la vertu première du théâtre qui est celle d’être un jeu – une vertu bien oubliée dans les productions actuelles –. Si jeu il y a, il faut des règles, même s’il est dit et répété à plusieurs moments dans le spectacle que les protagonistes « sur scène » veulent pratiquer un jeu sans règle (drôle de jeu dans le jeu), un jeu qui n’en est pas un ou qui refuse de se considérer comme tel, mais cela, déjà, appartient au raisonnement et aux vertigineuses mises en abyme verbales de Nicolas Doutey admirablement relayées par les comédiens sous la houlette d’Adrien Béal qu’a aidé dans leurs errances et déambulations le chorégraphe Thierry Thiêu Niang. Il faut aussi, dans toutes ces conditions, définir et délimiter une aire de jeu. C’est fait avec intelligence par Anouk Dell’Aiera. Soit une piste circulaire (dans le précédent spectacle écrit par Nicolas Doutey et mis en scène par Alain Françon – Le moment psychologique Jacques Gabel le scénographe avait également conçu une aire de jeu circulaire, mais uniquement pour les comédiens), les spectateurs assis en arc de cercle sur des bancs de bois d’où quelques protagonistes sortiront pour venir rejoindre Pauline Vallé. Nécessaire proximité pour qu’un autre jeu puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles, celui d’un formidable et très drôle démontage du langage, un exercice dans lequel Nicolas Doutey excelle, alors qu’Adrien Béal excelle de son côté à ciseler le jeu de ses comédiens dans une apparente liberté de ton et de… jeu.

Ce n’est rien, cela a l’air d’un bon moment à passer dans un dispositif léger (facilement transportable ici ou là, et peu importe le lieu d’accueil, théâtre ou pas) : c’est en fait, si on veut bien y regarder de plus près, beaucoup plus profond que cela en a l’air, car d’une certaine manière tous ensemble touchent à l’essence même du théâtre. Espace, temps et langage… dépliés.

Photo © Jean-Louis Fernandez