Anatomie d'un échec

Jean-Pierre Han

9 octobre 2023

in Critiques

Avant la terreur de Vincent Macaigne, d’après Richard III de Shakespeare. Mise en scène de l’auteur. MC 93 Bobigny avec le Festival d’Automne à Paris. Jusqu’au 15 octobre, à 20 h puis tournée nationale. Tél. 01 41 60 72 72. reservation@mc93.com

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Six ans après un assourdissant silence théâtral, Vincent Macaigne revient à la scène en affirmant qu’il n’avait pas vraiment cessé de travailler l’art théâtral, mais sans volonté d’aboutir à la monstration de ses expérimentations. Ce qui est bien sûr légitime, mais ne change rien à l’affaire, et on le constate sur cet Avant la terreur qui essaie d’établir en vain une relation forte avec le public, avec ses acteurs assis au premier rang de la salle et leurs nombreuses interventions, plutôt convenues, au milieu des spectateurs, lesquels répondent docilement mais très mollement aux ordres émis par les comédiens : « Fermez les yeux ! Applaudissez ! Levez-vous ! », etc. C’est là le premier échec de ce spectacle, cette impossibilité avec vraiment une authentique relation avec les spectateurs.

Revoici donc Vincent Macaigne, on s’y attendait un peu à vrai dire, avec toujours les mêmes béquilles textuelles, Shakespeare bien naturellement – son auteur fétiche avec Dostoievski sur lesquels il aime s’appuyer – et plus particulièrement son Richard III très largement agrémenté d’autres textes, certains piqués dans d’autres pièces de l’auteur, d’autres de la main du metteur en scène notamment. Au total un montage-mélange parfaitement vain où on a tout loisir de rêver à l’œuvre (ou même partie de l’œuvre) de l’homme de théâtre anglais… pour qui s’intéresserait vraiment à lui. Si on retrouve Macaigne tel qu’en lui-même, force est de constater cependant qu’avec les mêmes ingrédients, ceux de la surenchère de violence donc, quelque chose ne fonctionne plus du tout : il y a comme une désespérante et très paradoxale perte d’énergie ou de vitalité, comme si finalement Macaigne ne croyait même plus à son propre discours. Le très délicat et parfois timide personnage tel qu’il apparaît dans les films qui font son succès rejoint ici celui qui écrit dans tous les coins de la scène son appel au secours : « À l’aide » ! C’en devient presque pathétique. Car le discours est nul et non avenu : il procède certes toujours de la même manière, mais cette fois-ci dans une extrême confusion, au point que tout le monde se perd dans un maelstrom de violence appuyée jusqu’au vertige. Celui du vide de la pensée.

On est d’autant plus peiné que Vincent Macaigne connaît sa grammaire théâtrale sur le bout des doigts son savoir-faire est incontestable, et l’équipe de comédiens qu’il a réunie, Pascal Rénéric (Richard III) en tête, avec Sharif Andoura, pour ne citer qu’eux, mérite beaucoup mieux que ce qu’il leur est proposé dans un somptueux décor méticuleusement sali au fil de la représentation, et dont on ne peut s’empêcher de se poser la question de son coût (de production)… On pourra toujours dire aussi qu’il y a de belles séquences, et après ? Et au service de quoi ?

Photo : © Simon Gosselin