Le monde d'aujourd'hui ?

Jean-Pierre Han

8 octobre 2023

in Critiques

La Terre entre les mondes de Métie Navajo. Mise en scène de Jean Boillot. Théâtre de l’Échangeur, jusqu’au 12 octobre à 20 h 30, puis tournée. Tél. : 01 43 62 71 20, reservation@l’échangeur.org

Augustin Pot

Le titre de la pièce de Métie Navajo, La terre entre les mondes, dans sa beauté même, est pour le moins intrigant. Qu’est-ce que cette terre ? Que sont ces mondes ? Dans quelle dimension spatiale et temporelle sommes-nous conviés à naviguer ? Quand on aura ajouté que le metteur en scène de cette œuvre est Jean Boillot dont le nom de la compagnie s’appelle La Spirale, on aura compris, que nous sommes conviés à un étrange et peu commun voyage. L’étrangeté, voilà bien le registre dans lequel les spectateurs sont plongés. Même si nous pourrons toujours au fil du déroulement des événements saisir les fils d’une explication rationnelle à cette invitation au voyage. Le moins que l’on puisse dire c’est que nous sommes – sans jeu de mots – déplacés. Tout se joue, au sens fort du terme, dans ce déplacement, et c’est bien sous ce déplacement qu’évolue non seulement la pièce de Métie Navajo, mais l’ensemble du spectacle de Jean Boillot, de sa réalisation dans l’étonnant et très bel espace scénographique signé Laurence Villerot, à son interprétation qui mêle subtilement des comédiens d’origines diverses, et donc aux accents de langue différents. Il faut tous les citer tant ils se prêtent méticuleusement et avec grâce à la direction ferme de leur metteur en scène, Lya Bonilla, Sophia Fabian, Christine Muller, Giovanni Ortega, Cyrielle Rayet et Stéphanie Schwartzbrod. Les créations des costumes de Virginie Breguer éclairés par Ivan Mathis, les interventions sonores de Christophe Hauser, tout concourt à la création d’une paradoxale unité dans cette sorte d’étrange kaléidoscope.

Plus rationnellement on sait que le texte de Métie Navajo a été conçu après la résidence de la jeune femme au Mexique en compagnie d’artistes maya et son séjour dans la région du Campeche dans le Yucatan décimé dès le XVe siècle par la colonisation espagnole, un anéantissement de la population locale qui se poursuit de nos jours à cause de multiples raisons dues notamment à la mondialisation, avec les problèmes de sécheresse, de déforestation massive, de culture intensive de céréales (de soja notamment), de cancers dus aux pesticides, de la violence endémique… Cohabitent sur place une communauté mennonite qui sont les descendants de néerlandais et d’allemands qui ont fui l’Europe, rejetés par l’Église chrétienne, au début du XXe siècle, en 1920, et une communauté maya. À partir de cette donnée, déjà violente, car la première tente (bien sûr) d’asservir la seconde… C’est bien tout cela, en arrière-plan, qui constitue le socle à partir duquel Métie Navajo puis Jean Boillot développent leur fiction qui met en lumière le parcours de deux jeunes femmes, Cécilia et Amalia, issues des deux communautés, mennonite et mexicaine. Espaces et temps mêlés, nous sommes conviés à nous plonger dans cet « autre » univers qui, paradoxalement, nous renvoie aux douloureuses problématiques de notre époque. Car, en fin de compte, n’est-ce pas notre propre monde d’aujourd’hui qui est simplement dans sa violence et son chaos insupportablement « dépaysant » ?

Photo : © Augustin Pot