Le Festival du Moulin de l’Hydre : une régénérescence théâtrale
Festival présenté les 1er et 2 septembre 2023
Derniers feux des festivals d’été ou préambule chargé d’espoir de la prochaine saison théâtrale ? Très clairement, le festival du Moulin de l’Hydre, qui s’est tenu le premier week end de septembre, appartient de manière flamboyante à cette deuxième catégorie. Il nous réconcilie avec un art théâtral plutôt assoupi en retrouvant ses vertus depuis longtemps disparues et redonne sens à l’étymologie du terme même de festival, celle d’authentique fête. Cela est dû non seulement à la qualité des six spectacles offerts dans une sorte de joyeux marathon bien sûr, mais aussi à la manière dont ils l’ont été dans un environnement, un bouillonnement de vie très particulier. On ne saurait en effet parler de la qualité des propositions sans évoquer le contexte, le lieu même dans lesquels ils ont été donnés.
Situé dans une région bien particulière, dans l’Orne, aux confins de la Suisse normande, le Moulin de l’Hydre qu’un sous-affluent, le Noireau, longe et alimente, est une ancienne filature au « cœur d’une vallée en pleine nature, au milieu de nulle part », à l’orée tout de même du petit village de Saint-Pierre d’Entremont fort d’environ 700 habitants, entouré d’autres villages qui répondent aux doux noms de Cerisy-Belle-Étoile, de Montsecret-Clairefougères, de Saint-Georges des Groseillers un peu plus loin… Flers, la deuxième grande ville du département avec ses 15 000 âmes, est situé à plus d’une dizaine de kilomètres. On aura compris que pour parvenir au lieu dit Les Vaux, là où se trouve le Moulin, il faut connaître le chemin et passer par des petites départementales… Mais nul problème, tout le monde – et c’est près de 400 spectateurs qui ont été présents à chaque représentation, déambulant entre bar et stand de crêpes, entre la petite scène située dans le prolongement de l’entrée, et la scène principale (« la cour d’honneur ! » sise de l’autre côté du bâtiment principal à l’intérieur duquel, au premier étage aménagé en salle de répétition avec un espace réservé au maquillage les jours de représentation, et une belle superficie consacrée pour l’occasion à la restauration (en cas d’intempéries, ce qui fut le cas le premier soir) et de convivialité – tout le monde donc a vite trouvé ses repères dans le lieu que l’association Les Bernards l’Hermite avec la compagnie théâtrale, le K. que dirige Simon Falguières, ont décidé de transformer en fabrique théâtrale. Un « Laboratoire » comme aime à le qualifier le jeune metteur en scène qui fonctionne donc toute l’année durant. Le festival dans ces conditions n’est pas comme c’est quasiment toujours le cas ailleurs, un moment isolé à une certaine période plus ou moins estivale, mais pour ainsi dire l’aboutissement de tout un travail sur place, un aboutissement… prospectif, si on ose dire ! Car le week end festif fait suite à toute une série d’actions en cours d’année. Voilà en effet plus de deux ans que Simon Falguières et ses camarade travaillent d’arrache-pied pour construire le lieu, en faire un véritable théâtre, avec de vrais moyens techniques, alors qu’ils sont six à vivre toute l’année dans le bâtiment qui fait face à l’usine, à répéter sur place avant, souvent, de partir en tournée.
Simon Falguières nous le confiait en juin dernier : « c’est vraiment un projet au long cours, sur au moins dix ans, le rêve étant, dans plusieurs années, de construire un véritable théâtre ». À partir de là il était aisé et nécessaire pour l’équipe d’ « organiser un rendez-vous tous les ans entre la fin de l’été et la rentrée pour pouvoir plonger les gens sur un moment fort de l’année »… un festival en quelque sorte qui va sans aucun doute grandir année après année. Et la feuille de route pour les années à venir est d’ores et déjà actée, avec l’inauguration du Moulin les 25 et 25 mais 2024, avec l’inauguration du lieu, théâtre définitivement construit, en 2027 !
Les choses sont clairement énoncées et mises en pratique : « L’idée de ce festival c’est de pouvoir montrer les productions de la compagnie », ce qui est chose faite, puisque sur les six spectacles présentés, trois sont signés Simon Falguières, dont l’un destiné au jeune public, « le but du jeu étant de créer un lien fort avec nos voisins, avec les gens des villages alentour, parfois justement par le biais des spectacles jeunes publics ».
Pour ce qui est de cet objectif il aura été très clairement réalisé cette année, au-delà même de toute espérance : public du voisinage nombreux mêlé à celui venu d’ailleurs (de Paris… la réputation du Moulin de l’Hydre excède largement la simple région) d’où, et c’est là un révélateur, près de 80 bénévoles venus – à l’instar du maire de Saint-Pierre d’Entremont qui a parfaitement compris l’intérêt de l’implantation d’une telle fabrique dans sa région et se félicite de l’osmose entre la population et les artistes, et n’a pas hésité à se transformer en régulateur du parking (!) –, de tous les villages alentour.
Pour ce qui est des spectacles la partie aura été aussi largement gagnée. On connaissait certes un certain nombre des propositions, mais présentées en plein air, dans d’autres conditions que celles de leurs créations, on peut aisément considérer que ce sont de nouvelles « créations ». Ainsi c’est une énième forme de l’épopée du Nid de cendres, L’errance de notre vie que Simon Falguières nous a offert avec onze comédiens issus de la Belle troupe de Nanterre-Amandiers (acteurs et actrices en cours de formation) en une heure de temps résumant avec intelligence et fougue les douze heures du spectacle initial. Nid de cendres semble ainsi être devenu une matrice que l’équipe du K module à son aise avec talent et à-propos… Autre spectacle en deux actes signé Simon Falguières en guise d’ultime et très ludique proposition théâtrale avant que place ne soit faite pour le concert final, Le Rameau d’or présenté en deux parties. Un travail spécialement réalisé (au plan de l’écriture comme de la mise en scène) pour la sortie de promotion d’élèves du Conservatoire national d’art dramatique (CNSAD). Avec le constat de la capacité pédagogique de Simon Falguières à diriger avec générosité des comédiens (ils sont quinze ici) et à écrire spécialement pour eux tout en continuant à creuser son propre imaginaire. Formidable final, alors qu’un peu plus tôt, avec un spectacle pour jeune public, il se sera mis en scène lui-même : l’acteur qu’il est ne pouvait rater cette occasion…
Des trois autres propositions, celles d’équipes amies, Frédérique Voruz avec son Lalalangue qui tourne avec succès depuis sa création et dont on admirera l’absolue maîtrise dans un registre plutôt sensible : un règlement de compte avec sa famille, de la mère essentiellement, en même temps qu’une déclaration d’amour pour elle…, avec les très sensibles Nuits blanches d’après Dostoievski, mises en scène par Mathias Zakhar que l’on avait pu apprécier comme comédien avec Charlie Fabert, dans Nid de cendres, et à qui, pour l’occasion, Anne Duverneuil donne la réplique, avec enfin, seule en scène, Milena Csergo qui cumule à peu près toutes les fonctions, autrice, conceptrice de spectacle, interprète – Isadora comme elle est belle et quand elle se promène – dans un tout autre registre.
Au total un formidable feu d’artifice que la pluie aura dans un premier temps essayé d’éteindre. En vain, le théâtre était trop fort.
© Yacine Bayan