Avignon in : le pari gagné de Patricia Allio

Jean-Pierre Han

20 juillet 2023

in Critiques

Dispak Dispac’h, crépuscule européen de et avec Patricia Allio, Gymnase du lycée Mistral. Jusqu’au 21 juillet à 19 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

347224_64b2713ee4ada

En soi la proposition de Patricia Allio, Dispak Dispac’h, renvoie par sa calme détermination, son intelligence et son positionnement politique, bon nombre de spectacles de la programmation du In, à commencer par le Welfare de Julie Deliquet, à leurs douces et inopérantes études.

De quoi s’agit-il en effet, sinon d’ouvrir un espace, celui d’un théâtre militant, pour parler dans cette proposition des droits fondamentaux des migrants et des dispositifs d’évitement et de répression mis en place par les pays de l’Union européenne (en l’occurrence c’est bien à cette échelle européenne qu’il faut considérer les choses) ? En parler, bien sûr, démonter les mécanismes d’une hypocrite répression et surtout, par l’exemple, affirmer ce que le titre énonce, Dispak Dispac’h, et qui va donner le la de la tonalité générale du spectacle.

Assise en bout et au premier rang d’un des quatre blocs de banquettes qui entourent l’espace de jeu, Patricia Allio, nous donne quelques précisions concernant le titre : en breton – la metteure en scène, performeuse revendique son origine – Dispak signifie « ouvert, déplié, en désordre… », Dispac’h « agitation, révolte, révolution… ». Précisions linguistiques qu’elle va développer pour réaffirmer l’objet de sa proposition. Ainsi d’emblée, en toute sérénité tout est dit. Et c’est de cela dont il va être question, de cette ouverture à l’autre dans un moment rare qui prend appui sur un acte d’accusation du GISTI, le groupe d’information et de soutien des immigrés, que Patricia Allio découvre en 2018, l’acte étant lu au Tribunal permanent des peuples à Paris. Cet acte nous sera ici restitué un peu plus tard par la comédienne Élise Marie, placée au centre de la « scène », sur un tatami bleu posé au centre du quadrilatère formé par les spectateurs devenus témoins et dont soudainement l’attention sera captée, jusqu’au terme de la rencontre initiée par Patricia Allio. Sans fioriture superfétatoire. Si jeu il y a il réside dans des mouvements, des déplacements – ceux du danseur-chorégraphe Bernardo Montet sont d’une force et d’une beauté inouïes – presqu’imperceptibles. Les spectateurs, dans une deuxième temps, seront à leur tour invités à se déplacer, à se rapprocher des témoins, Gaël Manzi, l’un des fondateurs d’Utopia 56, Stéphane Ravacley, le boulanger de Besançon qui a gagné, après une grève de la faim, son combat pour éviter l’expulsion de son apprenti guinéen sans papier, Marie-Christine Vergiat, une députée européenne, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme et le réfugié David Yambio. À cette liste aurait dû s’ajouter l’afghan Mortaza Behboudi, journaliste et naturalisé français en 2021, mais qui a été pris en otage par les talibans à Kaboul… Spectateurs, nous devenons nous aussi témoins ; c’est un tour de force de Patricia Allio que d’opérer ce changement de statut des spectateurs dont rarement l’attention, la présence aura été à ce point captée. Ce qui, d’une certaine manière, pose la question de la théâtralité de cette proposition que d’aucuns pourraient être tentés de poser. Petite question hors de propos, si on analyse de près le « travail » de Patricia Allio, ne serait-ce que dans son propre comportement – sa tenue scénique, n’oublions pas qu’elle est aussi performeuse –, et si on discerne la très discrète manière qu’elle aura eu d’agencer l’ensemble avec des trouvailles particulièrement pertinentes comme cette manière d’apposer sur le sol des cartes du continent européen avec de nombreux petits points de couleur signalant les camps de réfugiés du continent européen…

Théâtre ou pas théâtre, vaine question, ce qui est sûr c’est que Patricia Allio aura gagné, et de belle manière, son pari de transformer la salle du gymnase du Mistral en authentique agora.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage