Avignon off : un moment de grâce et de gravité

Jean-Pierre Han

18 juillet 2023

in Critiques

Euphrate de Nil Bosca. Mise en scène et jeu de l’autrice. Théâtre du Train bleu, jusqu’au 26 juillet, à 12 h 40. theatredutrainbleu.fr

Nil-Bosca-dans-Euphrate-photo-de-Tansu-Saritayli-DR

La virtuosité de Nil Bosca, la comédienne chargée d’assumer le rôle de la jeune Euphrate, saisie au moment du bac et que l’on accompagnera pendant une dizaine d’années, le temps pour elle de trouver sa voie, cette virtuosité est telle que l’on risque presque de passer à côté du sujet qu’elle traite avec une infinie délicatesse, une pudeur qu’elle cache sous des dehors quelque peu gouailleurs. Née d’un père turc et d’une mère normande, la question de l’identité, du métissage sont au cœur de son propos.

Virtuosité disons-nous – et pour ceux qui ne la connaissait pas, c’est mon cas – authentique révélation. Nil Bosca sait tout faire, maîtrise le temps théâtral, passe sans coup férir d’un registre de jeu à un autre avec une souplesse, une précisions étonnantes, chante, danse, va jusqu’à esquisser quelques postures clownesques, et cela aussi elle le maîtrise, le tout avec une grâce à nulle autre pareille. Elle pourrait nous envoûter, elle a la pudeur de ne pas forcer son pouvoir de séduction et de rythmer à la perfection les séquences de la trajectoire – un vrai roman d’apprentissage – de sa vie. Jusqu’à ce point de révélation, devenir comédienne, sur lequel elle ne dira rien, laissant les choses en suspens, ouvrant les portes de tous les possibles.

Elle aura ainsi parcouru toutes les étapes d’une vie de jeune métisse en recherche de sa propre identité, de son origine, allant jusqu’à effectuer un (le ?) voyage vers le pays de son père pour finir par le fuir, après tout de même, c’est un signe, y avoir découvert la figure d’Afife Jale, la première actrice musulmane de Turquie… Une très belle séquence parmi bien d’autres réalisée, vécue, avec humour aussi qui cache une vraie déchirure, un humour que l’on retrouve dans ses mots et son langage. Comme cette appellation d’Euphrate qui pourrait peut-être renvoyer à son prénom, Nil…

Comme par ailleurs l’ensemble a été supervisé (peaufiné ?) par Stanislas Roquette et Olivier Constant, on se doute bien que rien n’a été laissé au hasard et que la maîtrise de l’ensemble n’est pas la moindre des qualités du spectacle.

Photo : © Tansu Saritayli