Avignon in : La nuit des temps

Jean-Pierre Han

12 juillet 2023

in Critiques

Néandertal de David Geselson. Mise en scène de l’auteur. L’autre scène du Grand Vedène, jusqu’au 12 juillet à 15 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

346134_64a6d3cde4b1d

À certains égards la scène augurale de ce Néandertal de David Geselson est emblématique de tout son spectacle. Qu’y voit-on en effet (pardon pour le jeu de mot un peu facile) ? Rien et tout à la fois. Rien parce que la scène se passe dans le noir le plus total. Comme dans la nuit des temps et c’est cette nuit que le spectacle entend explorer. Tout parce que ce qu’entend conter l’auteur, metteur en scène et interprète, s’y trouve en gestation. Parce que tout ce qui fait la matière de son travail que l’on commence, pour le meilleur, à bien connaître avec des spectacles de haute qualité et intensité s’y retrouve aussi.

Soit donc une scène que l’on ne voit pas, et pour cause, mais que l’on entend vivre et dans laquelle une femme complètement paniquée, au bord de l'hystérie, et un homme qui tente de la rassurer se retrouvent ensemble. On comprend que nous sommes sans doute au lendemain de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. À la faible lumière d’un briquet et d’un petit feu de bois l’homme et la femme vont faire connaissance. Ce sont deux chercheurs dont le sujet de recherche est l’ADN. Ils sont venus là, elle de Munich où elle vit et travaille avec son compagnon, lui de Munich, pour présenter leurs travaux respectifs lors d’un colloque sur la question… Ce qui doit arriver arrive : l’homme et la femme finissent par se rapprocher, s’embrasser et faire l’amour : début d’un histoire intime qui va se poursuivre tout au long du spectacle, et à laquelle est mêlé le compagnon de la jeune femme ; et alors que tout trois poursuivent leurs recherches autour de la question de nos origines. À ce trio à qui Laure Mathis, Elios Noël et David Geselson en personne prêtent corps et voix, viendra, au fil de cette sorte d’enquête policière (c’en est une en effet), un autre duo, celui formé par Marina Keltchewsky, interprète d’une responsable d’un musée d’histoire naturelle, et Adeline Guillot, qui joue le rôle d’une autre chercheuse, atteinte d’une maladie dégénérative qui va la priver – quel hasard ? – de toute mémoire… Alors que, dernier (ou premier) acteur de ce jeu de la recherche de la vérité de notre histoire, rien moins que celle de notre humanité, le père (Dirk Roofthooft) du premier chercheur, ancien prix Nobel qui a abandonné son fils à sa naissance et vient, bien sûr, le retrouver…

Le savant dispositif dramatique de David Geselson est ainsi mis en place, établi à partir de la vie d’un chercheur suédois Svante Pääbo qu’il avait lui-même narrée dans son autobiographie, Néandertal, à la recherche des génomes perdus… Le chercheur suédois, lui aussi lauréat du prix Nobel, avait fini par prouver, grâce aux ADN, que Sapiens et Néandertaliens s’étaient mélangés il y a plus de 40 000 ans… Entre réalité et fiction David Geselson navigue très à son aise comme toujours, mêlant éléments de sa propre origine à la trame narrative. Le dispositif scénographique de Lisa Navarro l’aide grandement dans sa démarche, mais pour aussi maîtrisé qu’il soit, pour aussi remarquable que soit l’ensemble de la distribution, on a parfois un peu de mal à suivre les méandres de la recherche, celle des savants et celle des comédiens saisis dans une sorte d’engrenage infernal sans fond, comme la nuit des temps.

Photo © Christophe Raynaud de Lage