Avignon Off : un femme arabe libre

Jean-Pierre Han

11 juillet 2023

in Critiques

Harems d’après Fatema Mernessi. Mise en scène d’Anne-Laure Liégeois. La Manufacture, jusqu’au 24 juillet à 13 heures. Tél. : 04 90 85 12 71. www.lamanufacture.org

Il faut savoir gré à Anne-Laure Liégeois de redonner la parole à la célèbre sociologue marocaine, Fatema Mernissi, disparue il y a un peu moins d’une dizaine d’années à Rabat, en 2015. Sa vie durant Fatema Mernissi s’était évertuée dans ses nombreux ouvrages tout comme dans ses conférences à travers le monde à porter la parole des femmes qui, à bien y regarder, dépassait largement l’immense territoire du monde musulman. Son œuvre dépasse aussi la simple sphère théorique pour aborder des rivages purement littéraires et fictionnels comme en témoigne par exemple son livre le plus connu d’un large public, Rêves de femmes. C’est dans ce livre que l’autrice précise qu’elle est « née en 1940 dans un harem à Fès, ville marocaine du IXe siècle, située à à 5 000 km à l’ouest de La Mecque, et à 1 000 km au sud de Madrid, l’une des capitales des féroces chrétiens », incipit entièrement, et à juste raison, repris par Anne-Laure Liégeois dans le très habile montage qu’elle a opéré dans l’œuvre de Fatema Mernissi, parvenant ainsi à jouer sur tous les tableaux, celui du combat féministe comme sur celui quasiment fictionnel. C’est déjà, de ce point de vue, une première réussite du spectacle dont le titre « Harems » met avec justesse l’accent sur l’une des thématiques essentielles de l’écrivaine – ce terme apparaît dans les titres de nombre de ses livres, du Harem et l’Occident au Harem politique en passant par Le monde n’est pas un harem ! – Le terme, on le voit, est plus qu’emblématique dans son œuvre, Fatema Mernissi allant même jusqu’à interroger les fantasmes aussi savoureux que déplorables que le mot aura déclenché dans nos sociétés occidentales… Du harem aux contes des Mille et une nuits, la liaison est toute trouvée et bien sûre Anne-Laure Liégeois ne rate pas l’occasion pour suivre le parcours.

Pour décrire ce parcours dont les connotations sont bien sûr éminemment (et subtilement) politiques, la metteure en scène a fait appel à deux comédiennes marocaines, Amal Ayouch et Sanae Assif, « sagement » assisses derrière une table pour se partager la parole de Fatema Mernissi. Elles le font sans fioriture et avec beaucoup de justesse. Anne-Laure Liégeois y ajoute de très subtiles touches qui font théâtre avec trois fois rien, mais qui mettent véritablement en lumière la force d’une pensée plus que jamais nécessaire.