AVIGNON IN : Un abyssal ennui

Jean-Pierre Han

7 juillet 2023

in Critiques

Welfare d’après le film de Frédérick Wiseman. Mise en scène de Julie Deliquet. Cour d’honneur du palais des papes. Jusqu’au 14 juillet à 22 heures. Tél. :04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Minute de silence requise par Julie Deliquet accompagnée de Tiago Rodrigues, pour le décès de Nahel, le spectacle d’ouverture, celui qui, en principe donne ou devrait donner le la du festival, a pu débuter. Avec tout le plateau transformé en immense salle de gymnase avec ses accessoires et des structures métalliques carrées bien alignées et recouvertes de draps blancs alors qu’une armée d’agents tous vêtus d’une blouse grise les démontent et les plient : on a bien compris, nous sommes plongés dans le monde du travail… Scène dégagée, le spectacle peut commencer. Le spectacle, vraiment ? Julie Deliquet, à la trajectoire rectiligne vers les plus hautes instances du métier (du Festival d’Automne année après année, à la Comédie-Française à plusieurs reprises avant d’être nommée à la direction d’un CDN, le TGP de Saint-Denis, aujourd’hui la cour d’honneur du palais des papes : où s’arrêtera-t-elle ?) est allée chercher la matière de son spectacle dans le film du réalisateur de documentaires américain, Frédérick Wiseman, Welfare, réalisé en noir et blanc en 1973. Le film de Wiseman a été tourné à New York dans un Centre d’aide sociale situé à Manhattan. Travailleur social lui-même avant de devenir réalisateur, Frédérick Wiseman était vraiment à même – en synergie pourrait-on dire – pour filmer le défilé de personnes en difficulté et en demande pressante d’aide. Nous sommes dans la réalité des choses ; Wiseman la filme et filme ces personnes qui ont bel et bien existé. Julie Deliquet reprend tel quel l’argument, ne le décale pas, reste dans les 70, toujours aux États-Unis, et lance sur le plateau des individus qui, eux, n’ont soudainement plus rien de réel et ont un mal fou dans le même temps à devenir des êtres de fiction. Ne reste plus sur scène qu’un défilé d’individus qui ont chacun leur petite histoire : on tombe infailliblement dans les anecdotes les plus convenues écrites dans une langue qui n’en est pas une. Pas de fable on s’en doute : rien, une histoire après l’autre. On souffre pour les comédiens qui n’ont strictement rien à se mettre sous la dent et qui, par compensation surjouent, crient à qui mieux mieux (y aura-t-il un jour un ingénieur du son soucieux et capable de régler les micros dont équipés les comédiens ?) : une bouillie dont on dira que ce n’est pas bien grave étant donnée la médiocrité du texte dont on aura pu saisir des bribes ici et là.

C’est bien en amont qu’il faut sans doute chercher les raisons d’un tel échec car l’échec est patent et ce ne sont pas les nombreux « fuyards » qui ont fini par craquer et quitter la cour d’honneur qui diront le contraire ! En ce sens c’est bien le tout nouveau directeur du festival qui a une grande part de responsabilité. Comment, après tout de même avoir choisi Julie Deliquet pour occuper la cour d’honneur du palais des papes, a-t-il pu se laisser embarquer dans un tel projet voué dès son énonciation à l’échec, pour peu que l’on ne cède pas aux sirènes de la mode ambiante ? Pour le reste… c’est pitié de voir la metteure en scène s’échiner à occuper l’espace (vaste il est vrai) faisant évoluer les comédiens à dix mètres les uns des autres, ne sachant où se mettre dans ce décor d’une belle laideur. On souffre pour les comédiens (Evelyne Didi, Vincent Garranger, Marie Payen…) que l’on tant aimé dans d’autre productions dignes de ce nom. Et que dire de cette scène finale qui sonne comme l’aveu de l’impossibilité d’habiter le vaste espace de la cour d’honneur.

De n’avoir pas choisi entre une restitution historique pure et simple du film de Frédérick Wiseman et la création d’une véritable œuvre théâtrale d’aujourd’hui Julie Deliquet s’est complètement fourvoyée échouant à réaliser ce qu’elle a proclamé, à savoir « mêler le réel et l’illusion ». On n’a ici ni l’un ni l’autre.