Une superbe réussite
Portrait d’une femme de Michel Vinaver. Mise en scène de Matthieu Marie. Présenté au théâtre de la Reine Blanche du 23 au 28 mai 2023.
La saison des travaux d’école vient de commencer et les spectacles de fin d’année d’étude fleurissent ici et là, chez les « riches » (CNSAD, TNS, etc.) comme chez les plus modestes. Il n’est pas dit que la qualité de ce que l’on peut voir respecte cette hiérarchie. La preuve : Portrait de femme de Michel Vinaver que nous offrent les onze élèves du Studio de formation théâtrale de Vitry sous la direction du comédien Matthieu Marie que l’on a encore pu apprécier cette saison dans La Mort d’Empédocle se révèle ici comme un formidable metteur en scène et directeur d’acteurs. Dans une intelligence et une justesse de lecture et d’appréciation du texte de l’auteur disparu il y a tout juste un an. Dans un strict respect aussi jusque dans la répartition des rôles et des didascalies de l’auteur : onze acteurs pour jouer dix-sept rôles, avec par exemple cette petite indication : « Pour les cinq acteurs assumant plus d’un rôle, les changements d’apparence (costume, postiche) sont sommaires et se font à vue ». Les personnages « ne quittent pas le plateau mais leur configuration se modifie, donnant une impression de mouvance perpétuelle, lente et par à-coups », etc.
Juste avant sa disparition Michel Vinaver avait pu voir et apprécier le travail du groupe. Dans un petit préambule qu’il lit avant le spectacle Matthieu Marie le précise : « Quelques jours avant sa mort, Michel Vinaver avait assisté à une présentation de ce travail, il l’avait aimé, il avait souhaité qu’il puisse être vu encore. Nous continuons… » On aimerait aujourd’hui que l’équipe puisse encore continuer, à la Reine blanche ou ailleurs. Elle le mérite très largement.
Si Vinaver écrivit ce Portrait d’une femme en 1984, alors qu’il avait déjà un très solide parcours d’auteur et même commencé à se mettre lui-même en scène avec Alain Françon dans l’Ordinaire, il faut immédiatement préciser qu’il avait en tête son sujet avant même de commencer sa carrière d’auteur dramatique, trente ans auparavant. Il avait suivi de près, découpé les coupures de presse relatant le fait divers concernant une jeune étudiante en médecine qui avait assassiné son ancien amant, lui aussi étudiant en médecine. Nous sommes en 1953 dans la France de l’après-guerre ; comment saisir l’énigme de cette femme sauf à faire, dans un montage-découpage, un portrait aux mille et une touches, une sorte de poème polyphonique que réalise Michel Vinaver en pleine maîtrise de son sujet ? Et que Matthieu Marie agence avec ses onze interprètes dans un travail choral de toute beauté ; c’est effectivement – par-delà même du fait divers à travers les minutes du procès, notamment celles parues à l’époque dans Le Monde – le portrait en éclats d’une femme qui surgit avec une belle fluidité et que portent avec cohérence, rigueur et conviction les onze comédiens qu’il convient de tous citer : Lou Dubernat, Arthur Boucheny, Émile Rigaud, Kessy Huebi-Martel, Malou Vezon, Inès Fakhet, Alexandre Bécourt, Clémence Henry, Joana Rebelo, Julien Ottavi et Grégory Gilles.
Photo : © Hervé Bellamy