Une belle révélation

Jean-Pierre Han

15 avril 2023

in Critiques

Au bord de Claudine Galea. Mise en scène et interprétation de Marine Gesbert. La Flèche, les vendredis à 19 heures. Tél. : 01 40 09 70 40.

Texte publié dans la revue "Frictions", n°10, automne-hiver 2006

Il faut une certaine hardiesse, voire un brin d’inconscience – celle de la jeunesse sans doute – pour oser s’attaquer au texte de Claudine Galea, Au bord, qui est d’une extrême maturité de pensée et d’écriture. C’est pourtant ce que fait Marine Gesbert issue il y a peu, en 2021, du CNSAD où elle avait présenté en cours d’étude une première proposition théâtrale sur le texte de Claudine Galea. C’était en 2019, Au bord a continué à travailler en elle, à la hanter, au point, jeunesse ou pas, d’en être totalement investie et de se l’approprier. On tremble bien au début du spectacle en se demandant comment elle parviendra, si elle y parvient, à faire vivre cette parole si forte née de la vision de la photo parue dans le Washington Post un jour de mai 2004 montrant une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier irakien allongé à terre dans la prison d’Abou Ghraib. La première surprise venant de la manière dont elle aborde la parole de l’autrice composée comme autant de coups de fouets dans la répétition déclinée de la première parole : « Je suis cette laisse en vérité » ; « Je suis au bout de cette laisse » ; « je suis celle qui se tait et qui tient la laisse » ; « je suis cette femme qui regarde cette femme qui tient en laisse un corps »… Surprise car Marine Gesbert profère ces paroles avec une vraie grâce, une grâce qui recouvre la dureté du propos, dans un mouvement d’une rare simplicité, presque chuchoté… Le temps de la surprise passera vite, et l’on s’apercevra dès lors que nous sommes embarqués dans l’extrême justesse de son propos (et de son jeu très sobre). Texte d’une poésie pure pour reprendre l’expression de la comédienne Françoise Lebrun le concernant, Au bord trouve avec Marine Gesbert – à la fois interprète et metteure en scène  – une autre vie, ouvre une autre possibilité d’appréhension, paradoxalement tout aussi forte qu’avec des comédiennes prestigieuses comme Cécile Brune ou Claude Degliame, dernières interprètes de l’œuvre.

Une belle révélation sur un texte qui n'a rien perdu de sa force, bien au contraire.