Un insupportable pensum

Jean-Pierre Han

13 avril 2023

in Critiques

Théorème/Je me sens un cœur à aimer toute la terre de Amine Adjina. Mise en scène de l’auteur avec Émilie Prévosteau. Théâtre du Vieux-Colombier (Comédie-Française). Jusqu’au 11 mai à 20 heures 30. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr

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C’est clair : Amine Adjina a des choses à dire (de la plus haute importance) sur l’état du monde. En vertu de quoi il a décidé de faire une adaptation théâtrale de Théorème de Pier Paolo Pasolini. Mais comme le propos du poète frioulan, aussi bien dans son film que dans son roman, n’était peut-être, pas à ses yeux, assez explicite, Amine Adjina a décidé d’adjoindre des passages du Dom Juan de Molière, reprenant d’ailleurs dans son titre un extrait d’une réplique de Dom Juan (le personnage) : « Je me sens un cœur a aimer toute la terre »… en guise de manifeste. Et comme ce n’était toujours pas assez clair, il s’est évertué à ce que son texte mette bien les points sur les i au point d’en devenir lourd et bêtement explicatif.

Un insupoortableÀ partir de ce pensum, le duo formé par Émilie Prévosteau et Amine Adjina, s’est attaqué à une mise en plateau consternante dans la scénographie tarabiscotée de Cécile Trémolières. Une pure caricature, le plus grave étant d’être parvenu à rendre des comédiens, ceux du Français, que l’on aime et apprécie d’habitude, presque mauvais, en tout cas totalement empruntés, mal à l’aise sûrement. On souffre pour eux, qu’il s’agisse d’Alexandre Pavlov, le Père, en surjeu caricatural constant, ou d’Adrien Simio, le Fils en grand dadais. Dans ce massacre, Danière Lebrun, la Grand-Mère, s’en sort quand même, ce qui est une exploit. Coraly Zahonero, la Mère, après un grand moment de flottement finit par sauver les meubles, quant à la Fille, Marie Oppert, on souffre pour elle de la voir faire ses mouvements de gymnastique saccadés avant d’entamer ses tirades d’Elmire… Faire jouer la domestique, Claïna Clavaron, raide comme un piquet relève d’une direction d’acteur extrêmement pensée. Seul Birane Ba échappe à un tel diktat, ce qui lui permet de traverser la « pièce » tranquillement sans éclat ni catastrophe : on est quand même loin de l’aura du personnage tel que Pasolini l’avait conçu. Mais pourquoi parler de Pasolini, tant il est vrai qu’il a complètement disparu, même si à un moment donné l’auteur évoque la mort du (d’un) poète sur une plage près de la villa où se situe l’action… Quel hommage !

Dans son texte Amine Adjina parle à plusieurs reprises de poésie. Son texte, et encore moins son spectacle, n’en possèdent la moindre once.

Photo : © Vincent Pontet