Lectures francophones aux Zébrures du printemps
Les Zébrures du printemps : Festival des écritures. Limoges du 20 au 26 mars 2023
Ce n’est un secret pour personne : le Festival des Francophonies en Limousin créé en 1984 (on fête cette année ses 40 ans d’intense existence) par Pierre Debauche et Monique Blin s’est toujours penché sur la question des écritures. Dès 1988 d’ailleurs Monique Blin y créait la Maison des auteurs. Depuis, à peu près toutes les évolutions de Festival ont été dans le sens d’un affermissement de cette étroite relation avec les auteurs et leurs écritures. Après moult améliorations du titre au fil des années, en même temps qu’apparaissait le symbole du fameux zèbre avec ses rayures noires et blanches, et avec l’arrivée d’Hassane Kouyaté à le tête de la manifestation, les choses sont encore plus affirmées : l’appellation du Festival est devenue « Les Francophonies ; des écritures à la scène ». En même temps qu’apparaissent les « Zébrures » de l’animal et la création des « Zébrures du printemps » dont le sous-titre est « Festival des écritures », en écho aux « Zébrures d’automne ». Jamais à court d’idées Hassane Kouyaté a en effet créé ces Zébrures du printemps entièrement consacrées aux écritures et à leurs lectures et dont la première édition, en 2020, a dû être annulée en raison des conditions sanitaires du moment. Sur les missions que s’assigne le Festival, on ne saurait être plus clair. Nouvelle démonstration cette année avec ces troisième Zébrures qui se sont tenues du 20 au 26 mars dernier dans l’ancienne chapelle et la crypte des Jésuites, l’Espace Noriac, dont le Conseil départemental a réhabilité le bâtiment pour en faire un lieu culturel.
Ces Zébrures du printemps se sont donc inscrites dans l’exact prolongement du travail du Festival, et ce qui y a été donné (ou représenté) faisait suite à différentes résidences des auteurs tout au long de l’année. Les présentations du mois de mars, pour aussi intéressantes qu’elles furent ne sont que les étapes ou le tremplin pour de futures productions qui pourront le cas échéant être présentées lors des Zébrures d’automne, dans la programmation officielle. De ce point de vue d’ailleurs une lecture a été particulièrement emblématique de cette démarche. Il s’agit de Léa et la théorie des systèmes complexes du luxembourgeois – une première à Limoges – Ian de Toffoli, une saga concernant la Koch Business Solutions Europe à Luxembourg sur 130 ans qui, toutes proportions gardées, pourrait faire penser à la Saga des Lehmann Brothers de Stefano Massini ; on souhaite à Ian de Toffoli le même succès que l’auteur italien… La création du spectacle dont la lecture nous donnait une très parlant échantillon sur 50 minutes de temps devrait faire partie de la programmation des Zébrures d’automne… Une très belle et forte lecture par trois comédiens (seul l’un d’entre eux cependant sera de la distribution automnale, ce qui pourra paraître étonnant tant la qualité de leur travail fut patente) campés derrière trois lutrins : une simplicité de bon aloi qui permettait de parfaitement apprécier le texte.
D’autres lectures n’ont malheureusement pas connu la même simplicité parce que confiées à des élèves de première année de l’École Supérieure du Théâtre de l’Union (ETSU) dont la fougue, pas toujours canalisée, a plutôt brouillé les pistes et la clarté des textes. Ce fut notamment le cas pour la lecture de l’angolais Ondjaki avec Les Vivants, le mort et le poisson frit – un texte traduit du portugais par le comédien Victor de Oliveira et Marie-Amélie Robillard –, une plongée bouffonne et pourtant sombre concernant des émigrés tentant d’obtenir la nationalité portugaise. L’Obscurité de l’Ougandais Nick Makoha, fut également interprété par des jeunes élèves, dirigé avec plus de fermeté par Thomas Visonneau. Entre le texte d’Ondjaki et celui de Nick Makoha, existe un parenté thématique évidente : dans L’Obscurité les projecteurs sont braqués sur des personnages essayant de fuir leur pays… ; écrit en anglais il a été traduit par Isabelle Famchon que l’on retrouvait naturellement dans la table ronde consacrée à « la traduction des dramaturgies du continent africain » en compagnie de Laurent Mulheisen, Tiphaine Samoyault, Marie-Amélie Robillard et Sika Fakambi.
La question du traitement scénique des lectures, toutes calibrées à 50 minutes doit être vraiment posée. Outre la nécessité d’opérer des coupures dans les textes, le fait de demander à des élèves-comédiens de les assumer, s’il part d’un excellent et généreux sentiment, peut avoir des effets pervers. On aimerait par ailleurs avoir des temps de respiration entre les lectures : enchaîner lecture sur lecture ne laisse guère de temps pour des discussions informelles, et passer d’un univers à un autre est une sacrée gymnastique rendue plus difficile lorsque l’on sait que les contenus des pièces sont quasiment tous branchés sur la sombre et terrifiante réalité du monde.
C’est donc à un véritable marathon auquel nous avons été conviés lors de ces Zébrures du printemps. Il est vrai que les festivaliers aiment ce genre de parcours très serré. Un simple coup d’œil sur ce qui, en l’espace d’une semaine, a été proposé laisse rêveur. 16 lectures pour 17 auteurs, sans parler des traducteurs, et autres joyeusetés annexes comme les table ronde, rencontre/atelier, et autre installation anniversaire des 20 ans du Prix Sony Labou Tansi des lycéens… Et c’est toujours un plaisir que de voyager ainsi de par le monde, de l’Ouganda au Québec (avec la très intéressante Danièle LeBlanc et ses Paysages à l’abandon), de Haïti au Cameroun, de la Suisse au Bénin… et de bien d’autres pays, en espérant que les prochaines éditions se dirigeront davantage vers l’Asie.
On remarquera au passage qu’aussi bien la suissesse Valentine Sergo (Cœurs battant), que Danièle Le Blanc déjà citée ou la Congolaise Pierrette Mondako (Un instant d’éclat) sortaient tout droit d’une résidence « Terminer un texte » à la Maison des auteurs de Limoges, alors que l’ivoirienne Fatou Sy (Reine Or) comme la rwandaise Claudia Shimwa (Le Silence qui sait tant) avait bénéficié d’une résidence « Découverte » à la même Maison des auteurs.
Le succès de cette édition est indéniable, la chaude salle de l’Espace Noriac avec sa centaine de places ayant été presque toujours remplie par un public qui mêlait artistes, professionnels et spectateurs de la région. Ainsi ce Festival des écritures des Zébrures du printemps apparaît désormais beaucoup plus qu’un formidable tremplin pour les Zébrures d’automne : c’est une manifestation à part entière.
Photo : Léa et la théorie des systèmes complexes. © Christophe Péan