Une brûlante réussite

Jean-Pierre Han

4 avril 2023

in Critiques

Des châteaux qui brûlent d’après le roman d’Arno Bertina. Adaptation d’Anne-Laure Liégeois (avec l’auteur). Mise en scène d’Anne-Laure Liégeois. Théâtre de la Tempête, à 20 heures, jusqu’au 23 avril. Tél. : 01 43 28 36 36. www.la-tempete.fr

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La réussite du spectacle, Des châteaux qui brûlent d’après le roman d’Arno Bertina, réalisé par Anne-Laure Liégeois réside dans sa capacité à surmonter tous les obstacles qui pouvaient se dresser dans son entreprise et qu’elle semble avoir voulu résolument affronter. Le passage (l’adaptation) d’un roman à la scène est déjà en effet une affaire toujours délicate rarement couronnée de succès. Même lorsque l’auteur est de la partie et met la main à la pâte. Or ici le travail commun entre la metteure en scène et l’auteur semble avoir porté ses fruits. L’opération comportait nombre de pièges même si a priori sa composition en monologues des différents personnages prenant la parole à tour de rôle, pouvait sembler tendre vers une adaptation théâtrale : le duo les évite allègrement, et le subtil maillage entre les monologues et le développement du récit est parfaitement réussi. D’autant que tout cela repose sur la langue d’un authentique écrivain, Arno Bertina.

Autre piège : celui du sujet traité. Depuis la célèbre objurgation de Jacques Chirac dans les années 1990 estimant que le théâtre se devait d’aider à « réduire la fracture sociale », nombre de spectacles se sont engouffrés dans cette impasse, débouchant quand même ces dernières années sur des sujets où il est question du monde du travail. Avec plus (et beaucoup) moins de réussite. Or Des châteaux qui brûlent nous plonge, 2 heures 20 durant, dans l’inextricable conflit d’une occupation d’usine, un abattoir de poulets niché en plein cœur de la Bretagne, placé en liquidation judiciaire, avec séquestration d’un ministre d’État, et siège du bâtiment par la police, etc. On pouvait tout craindre de ce type de fable menant vers un traitement « politico » larmoyant, moralisateur et faussement provocateur ; il n’en est rien fort heureusement. Tout dans ce spectacle est tenu, et si effectivement les questions politiques concernant ce type de situation ne sont pas évitées, elles le sont de façon non didactique et encore moins pathétique, toujours éminemment théâtrales en tout cas. On navigue ainsi entre différents registres de jeu. Le passage des uns aux autres se fait avec maestria, en tout cas dans une sorte de réelle continuité : on songe même à un moment donné à Dario Fo qui, étonnante coïncidence, occupait le même plateau il y à peine un mois sous la houlette de Bernard Lévy. Il y a effectivement du Dario Fo dans la manière qu’ont Anne-Laure Liégeois et Arno Bertina de mener et de faire exploser toutes les convenances d’usage (par le rire notamment) en la matière.

La réussite enfin de l’ensemble réside aussi et surtout dans l’absolue cohérence et maîtrise de l’ensemble de la distribution. Dans la belle et juste structure scénographique d’Aurélie Thomas et Anne-Laure Liégeois. Ils sont pas moins de douze sur le plateau (un exploit par ces temps de misère), douze à la personnalité bien marquée que met en valeur la metteure en scène : ils sont tous d’une extrême rigueur, ce qui n’était pas donné d’avance dans le genre de situations mises en place. Chacun joue sa partition (c’est bien de cela qu’il s’agit) pour nourrir la dynamique et le propos de l’ensemble. Impossible de ne pas les citer tous (on reconnaîtra au passage des familiers de l’univers et du travail d’Anna-Laure Liégeois) : Alvie Bitemo, Sandy Boizard, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Fabien Joubert, Mélisende Marchand, Marie-Christine Orry, Charles-Antoine Sanchez, Agnès Sourdillon, Assane Timbo, Olivier Werner, Laure Wolf. Des châteaux qui brûlent est un spectacle tenu de bout en bout.

Le compagnie d’Anne-Laure Liégeois s’appelle le Festin. C’en est un ici, dans tous les sens du terme.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage