Clowneries en tous genres

Jean-Pierre Han

23 mars 2023

in Critiques

3 clowns par la Compagnie Les bleus de travail. Théâtre Trévise. Samedi 25 (à 16 h 30), dimanche 26 (à 15 h) et lundi 27 mars (à 19 h). Tél. 01 48 65 97 90.

Pss Pss par la Compagnie Baccalà. Mise en scène par Louis Spagna. Théâtre Libre jusqu’au 23 avril. Tél. : 01 42 38 97 14. billetterie@ke-theatrelibre.fr

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Est-ce pour contrebalancer la morosité – c’est un doux euphémisme – du monde dans lequel nous baignons avec ses sinistres et sinon « assassines » pitreries politiques, que l’on voit émerger depuis quelque temps des spectacles de clowns ? Contre-feux bienfaisants aussi face à une production théâtrale qui a tendance à se prendre et à prendre les problèmes au goût du jour avec un sérieux (et souvent un ennui) de plomb. Cela dit, et le spectacle de clown, de Jean Lambert-wild, Coloris Vitalis, encore récemment donné à Paris, n’hésitait pas à évoquer et à stigmatiser les travers du monde d’aujourd’hui. Encore le faisait-il, sous la plume de Catherine Lefeuvre (car il y avait, mais oui, un authentique auteur à la base du travail du comédien), à partir de laquelle le clown de Lambert-wild pouvait faire le virtuose étalage de son savoir-faire.

Deux autres spectacles de clowns se donnent en ce moment et nous plongent enfin dans un autre univers tout en poursuivant une tradition bien établie et qu’on l’on aurait plaisir à voir mieux évoquée. Avec la Compagnie Les bleus de travail – belle appellation –, un trio de clowns qui s’entendent comme larrons en foire pour nous proposer un spectacle simplement intitulé Trois clowns. Trois clowns, sur scène au théâtre de Trévise (ils sont en fait six dans la compagnie, ce qui permet toutes les combinaisons possibles et imaginables), Laurent Barboux, Lionel Becimol et Alexandre Demay, qui revendiquent clairement leur héritage, mais n’hésitent pas à aller sur des chemins de traverse théâtraux, ce qui leur permet d’investir aussi bien des théâtres traditionnels comme celui de Trévise justement, mais aussi chapiteaux, rues et autres lieux non forcément destinés à accueillir ce genre de manifestation, pourvu qu’il y ait une piste : un spectacle tout terrain en somme. Ce n’est pas un hasard si en cours de spectacle, ils se mettent à évoquer (de manière trop brève, car on en redemande) la tradition des clowns avec ses très grandes figures. Ils sont aussi bien clowns (blanc, Auguste…) que comédiens (ils savent jouer la comédie à partir du texte établi), acrobates, jongleurs ; la tradition du cirque est respectée. À trois, aux physiques particuliers, les combinaisons de jeu et de numéros – car bien sûr cela fonctionne sur ce schéma – sont infinis : ils en profitent largement pour notre plus grand bonheur.

C’est sur un autre registre que travaille la Compagnia Baccalà avec son spectacle Pss Pss – un titre qui donne le la de la tonalité, fine et discrète, de l’ensemble – que portent à bout de bras (sans jeu de mot) les deux artistes, la suissesse Camilla Pessi et l’italien Simone Fassari. Le spectacle est sans parole, mais les expressions corporelles des deux artistes pallient largement cette absence dans leur travail qui s’inspire clairement, ne serait-ce que dans le maquillage et les accoutrements, des artistes du cinéma muet, Charlie Chaplin, Buster Keaton ou encore Jacques Tati. Il y a forcément entre les deux artistes une réelle connivence, une réelle complicité nécessaire quand on œuvre dans leurs domaines respectifs d’acrobatie ou de jonglerie, ou simplement dans le domaine musical. Complémentarité et complicité, bien gérée par le metteur en scène Louis Sagna, entre la raideur calculée de Simone Fassari et l’espièglerie et la grâce de Camilla Pessi, le tout assumé avec force mimiques. Tout en restant dans le domaine de la clownerie on est dans une forme proche du travail de cabaret, mais peu importe cette question de registre, le spectacle est tout simplement jouissif.

Photo : © Gilles Dantzer