"Othello", vraiment ?

Jean-Pierre Han

21 mars 2023

in Critiques

Othello de Shakespeare à partir du texte français de Jean-Michel Déprats. Mise en scène de Jean-François Sivadier. Odéon-Théâtre de l’Europe,, jusqu’au 22 avril à 20 heures. Puis tournée. Tél. :

01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu

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Soyons clair : l’Othello de Shakespeare revu et corrigé par Jean-François Sivadier, de passage au Théâtre d’Odéon à Paris, avant de reprendre sa tournée, est un bien bel objet, intelligent comme toujours chez le metteur en scène, pertinent et même très impertinent. Sauf qu’il aurait dû intituler son spectacle Iago et non plus Othello. C’est en effet Iago, alias Nicolas Bouchaud, on s’en serait douté, qui est sur le devant de la scène qu’il occupe avec une présence écrasante durant presque tout le spectacle. Connaissant le complice de toujours de Jean-François Sivadier, et son talent, on ne s’en plaindra pas, mais ainsi vont les choses, il finit par écraser ses camarades de plateau, réduits pour la plupart à des rôles de faire-valoir, de talent certes, mais faire-valoir quand même. Il n’y a guère qu’Othello qu’Adama Diop incarne avec une belle fureur dans la deuxième partie du spectacle qui parvient à enfin tirer son épingle du jeu. Mais la pièce de Shakespeare l’a ainsi voulu nous dira sûrement Jean-François Sivadier qui affirme tout de go que « Iago est tout ce qu’Othello n’est pas »… ajoutant que « le syndrome du ”sans lui je n’existe pas ” prend une dimension telle qu’au début du quatrième acte on pourrait presque penser que les deux hommes n’en font qu’un ». Autrement dit sans Iago Othello n’existe pas, il n’est qu’un vide, une absence d’être, ce qui est pousser le bouchon un peu loin… Mais allons-y quand même pour cette interprétation que le metteur en scène met en œuvre, traficotant ce qu’il y a à traficoter pour que l’ensemble de la pièce entre dans ce raisonnement. Toujours d’ailleurs avec les pirouettes, les coq-à-l’âne, les digressions et quelques plaisants ajouts et commentaires dont il aime à parsemer ses travaux.

Le paradoxe voudra toutefois que l’on peut inverser la proposition première et affirmer que sans Othello Iago n’existe pas non plus. À trop vouloir jouer du déséquilibre du couple Iago-Othello, jusque dans le physique des comédiens qui incarnent les rôles-titre avec un Nicolas Bouchaud plus trapu qu’Adama Diop, qu’il semble donc ainsi déjà dominer, quelque chose ne fonctionne plus. Sans doute y a-t-il un vrai plaisir à jouer et décrire la volupté du mal, et Nicolas Bouchaud ne se prive pas de ce plaisir dans la volupté et la maîtrise de son jeu… Les autres comédiens (Cyril Bothorel, Stéphane Butel, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda) suivent fidèlement l’axe plutôt sombre voulu par le metteur en scène, et l’on mettra quand même en exergue le travail d’Emilie Lehuraux qui, dans le rôle de Desdémone, apporte une touche de vigueur et d’énergie que l’on a rarement coutume de voir dans les autres mises en scène de la pièce. Jean-François Sivadier, effectivement, offre une vision nouvelle de l’œuvre de Shakespeare qui va à l’encontre de ce que l’on a coutume de voir, et même si on lui reprochera d’avoir mis sous le boisseau la dimension du politique dans la pièce…

Photo : © Jean-Louis Fernandez