Sabordage

Jean-Pierre Han

17 mars 2023

in Critiques

House, texte et mise en scène d’Amos Gitai. Théâtre national de la Colline, jusqu’au 13 avril à 20 h 30. 19 h 30 le mardi, 15 h 30 le dimanche. Tél. : 01 44 62 52 52

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C’est entendu, Amos Gitai est une grande figure du cinéma. Au cas où nous l’aurions oublié, les documents qui accompagnent sa création théâtrale à la Colline, nous le rappellent en citant des textes des éminents critiques de cinéma, Serge Daney et Jean-Michel Frodon. Si ce dernier pouvait faire référence à la fameuse trilogie cinématographique House dont les volets ont été successivement créés en 1980, 1997 et 2005, le premier nommé, lui, décédé en 1992, n’avait pas eu le temps de voir les deux derniers volets de la trilogie d’Amos Gitai, mais il n’en avait pas moins saisi ses véritables enjeux. Michel Frodon a effectivement raison, le cinéma d’Amos Gitai, et House notamment, « fait archive », et c’est quasiment en « archéologue » fouillant « strate après strate » comme le signalait Serge Daney que le réalisateur revient à trois reprises au fil de vingt-cinq années sur l’histoire de cette maison située à Jérusalem Ouest, refaisant son histoire – débouchant sur la grande Histoire –, et celle de ses habitants successifs…

Faut-il désormais ajouter à cette trilogie un codicille… théâtral cette fois-ci, une « nouvelle strate » concernant l’histoire de la « Maison » ? En réalité ce simple changement de genre, du cinéma au théâtre, cet ultime volet « décalé », ne creuse rien et modifie même jusqu’à la signification de l’ensemble. C’est bien là où le bât blesse : on reste un peu pantois devant ce que l’on voit sur la scène de la Colline. Le simple passage du cinéma au théâtre s’avère ravageur. Car le cinéaste-metteur en scène semble n’avoir rien voulu changer et œuvre sans tenir compte de la différence de nature entre le cinéma et le théâtre. On retrouve donc d’une manière presque caricaturale la même démarche d’ensemble, avec les mêmes personnages, les mêmes témoins avec les mêmes entretiens, à la virgule près… mais rien ne fonctionne cette fois-ci : quelle commune mesure par exemple entre le début de ses films axé sur la présence (parfois en gros plans) des ouvriers chargés de transformer la maison pour les nouveaux propriétaires du lieu, et ce que l’on voit sur la scène du théâtre qui devient dérisoire, saisi entre de monumentaux échafaudages que le metteur en scène se croit obligé de faire déplacer de temps à autre  on ne sait trop pourquoi (est-ce le passage du temps ?) ?… Ce n’est certainement pas en faisant venir les comédiens sur le devant de la scène que cela remplacera les gros plans cinématographiques. Et que dire de l’absence d’écriture d’un authentique texte puisqu’il ne s’agit que de la reprise des interviews filmées ? C’est dans cette absence de perspective que l’enjeu de l’œuvre finit par disparaître. C’est un peu désolant au vu des moyens déployés comme on n’a pas trop souvent l’occasion d’en voir au théâtre. C’est aussi aller à l’encontre de ce qui est dit dans la trilogie, à savoir que « chaque personnage du film est devenu une métaphore de Jérusalem » : on est ici loin du compte.

Photo : © Simon Gosselin