Rêves de femmes

Jean-Pierre Han

13 mars 2023

in Critiques

Des femmes qui nagent de Pauline Peyrade. Mise en scène d’ Émilie Capliez. Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis. Jusqu’au 19 mars à 20 heures. Samedi à 18 heures, dimanche à 15 heures 30. Tél. : 01 48 13 70 00.

Le texte de la pièce est édité aux Solitaires intempestifs. 80 pages, 14 euros.

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Pour être parfaitement clair dans son enjeu initial déclaré le spectacle conçu par Emilie Capliez en synergie avec Pauline Peyrade aboutit à une réalisation qui est loin d’avoir la même clarté, ce qui, somme toute, est on ne peut plus logique si on veut bien considérer le cheminement de la création. Au départ Émilie Capliez et Pauline Peyrade avaient décidé de faire un spectacle autour ou à partir des figures des comédiennes et des actrices de cinéma. Très vite sinon simultanément, le spectre s’élargissant, c’est l’histoire des femmes (et non plus des seules comédiennes) de et au cinéma qui s’est imposée. Avec bien sûr l’évidence que si on remontait le temps, force était de reconnaître que l’action et l’apport de ces femmes avaient été à la fois occultés, et qu’à y regarder de près le rôle (dans tous les sens du terme) qui leur était assigné était emblématique de la place que la société dans son ensemble – et pas seulement au cinéma – voulait bien leur assigner. Des femmes qui nagent joue donc sur tous les tableaux et outrepasse largement la question du cinéma, même si le sujet du spectacle est bien défini. Restait à savoir comment l’autrice, Pauline Peyrade, à qui commande avait été passée, allait s’en sortir. L’écriture de son texte « gouverne » tout le spectacle (ce qui devrait être une lapalissade au théâtre !…). Pas de fiction linéaire, de fil rouge, pas de rôles définis, elle procède par fragments, mais en revanche de rapides portraits kaléidoscopiques d’actrices, évoque certaines séquences de films pour ainsi dire culte, le tout dans une écriture littéraire travaillée (rappelons la sortie de son premier roman, L’Âge de détruire aux Éditions de Minuit). Et la metteure en scène de suivre le mouvement, presque trop fidèlement peut-être, car la matière est riche, trop riche, et le spectateur finit par s’y perdre, n’ayant d’ailleurs pas toutes les références des films, des comédiennes, réalisatrices évoquées en acte, mais qu’importe après tout. C’est une sorte d’énigme qui se déroule sur le plateau sur lequel le scénographe Alban Ho Van a recréé le hall d’entrée d’un cinéma d’autrefois – ce qui n’est franchement pas une nouveauté (sans jeu de mots), mais cela fonctionne toujours –… La matière tout entière dédiée au cinéma (à travers ses figures féminines, ça va de soi) est développée, au sens photographique du terme, sans que jamais un bout de film ou de vidéo ne soit montré, c’est là un exploit que l’on ne peut que saluer ; en contrepartie c’est une matière purement théâtrale qu’Émilie Capliez invente et travaille avec finesse et rigueur, ce qui était loin d’être évident. Du cinéma sans image ; une authentique gageure.

Quelque chose se passe sur le plateau comme dans un rêve avec ses tonalités clairs-obscurs, ses séquences d’une rare précision que hantent des fantômes, et qui vous plongent dans le plus grand des troubles. Émilie Capliez gère tout cela avec beaucoup de maîtrise comme elle gère sa direction des actrices au nombre de quatre principales de générations différentes, Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios (en alternance avec Louise Chevillotte), et Léa Séry, alors que quinze interprètes amatrices viennent les emmener dans le tourbillon de la mémoire.

Photo : © Klara Beck