Un pur bonheur théâtral

Jean-Pierre Han

7 mars 2023

in Critiques

On ne paie pas ! On ne paie pas ! De Dario Fo et Franca Rame. Traduction et adaptation Toni Cecchinato et Nicole Colchat. Mise en scène de Bernard Lévy. Théâtre de la Tempête, jusqu’au 18 mars à 20 heures. Tél. : 01 43 28 36 36.

Le texte de la pièce est édité aux éditions de l'Arche.

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C’est un vigoureux et très réjouissant coup de pied dans la fourmilière théâtrale que Dario Fo nous donne avec son On ne paie pas pas ! On ne paie pas ! que relaie avec une scrupuleuse fidélité et une vraie rigueur Bernard Lévy et son épatante équipe de comédiens. Pourtant la pièce date d’il y a près de cinquante ans, née en 1974 sous le titre de Faut pas payer ! et remise au goût du jour – crise des subprimes oblige – en 2008 par les auteurs, elle est, malheureusement et plus que jamais, toujours d’actualité. Alors que les théâtreux (auteurs, metteurs en scène, acteurs, etc.) s’échinent à vouloir rendre compte du monde d’aujourd’hui et de ses vicissitudes avec plus ou beaucoup moins de bonheur, Dario Fo et sa femme, Franca Rame, avaient trouvé la formule. Ici sans détour aucun, et même en mettant les pieds dans le plat plutôt deux fois qu’une pour traiter de notre société de consommation où vivre consiste pour les plus petits à survivre. Nous y sommes en plein, avec les histoires de « paniers anti-inflation » et autres inventions cache-misère, les personnages de On en paie pas ! On ne paie pas ! essentiellement des femmes – là aussi Dario Fo et Franca Rame étaient en avance sur leur temps – trouvent une solution radicale annoncée dans le titre. S’ensuit une comédie burlesque dévastatrice, une farce époustouflante où les situations comiques les plus absurdes, que même un Feydeau n’aurait pas désavouées, s’enchaînent à l’infini de manière mécanique. Le tout se déroulant, comme un ressort serré à fond qu’on lâche soudainement, dans une très belle et intéressante scénographie signée Damien Caille-Perret qui évite l’écueil de tout réalisme, mais en joue tout de même en le cassant (on songe à des tableaux cauchemardesques dont raffolaient les surréalistes) : c’est ingénieux et juste. C’est dans cet écrin de la misère qui s’ouvrira en fin de partie que vont se précipiter les personnages en pleine folie, l’instigatrice de la révolte du porte-monnaie, Antonia, que prend en charge, et quelle charge !, Anne-Élodie Sorlin, époustouflante, aidée de sa complice Margherita – un rôle moins évident face à la tornade Antonia – mais qu’assume avec drôlerie et efficacité Flore Babled. Alors qu’en face les maris des donzelles – les « hommes » comme dans les meilleures comédies italiennes – Eddie Chignara et Grégoire Lagrange, en prennent plein leurs grades (la patte de Franca Rame ?), le premier nommé en communiste légaliste est d’une drôlerie en or, et fait oublier qu’à l’origine c’est Dario Fo en personne, clown et bateleur de génie, qui interprétait le rôle s’interrompant pour improviser à son habitude avec le public… On n’oubliera pas le cinquième larron, Jean-Philippe Salério en policier, gendarme, croque-mort, etc. Élie Chapus complétant la distribution.

Bernard Lévy dont on connaît l’intelligence de la lecture des textes (sa compagnie ne s’appelle pas Lire aux éclats pour rien), mène tout cela de main de maître, gérant le rythme d’ensemble du spectacle et la direction de ses interprètes (le tempo) avec doigté. Un régal en ces temps de misère (théâtrale).

Photo : © Pascale Cholette