Un acte de générosité

Jean-Pierre Han

3 mars 2023

in Critiques

Une démocratie splendide d’arbres forestiers, d’après l’œuvre et la correspondance de John Keats. Mise en scène de Nicolas Struve. Théâtre de l’Épée de bois, jusqu’au 5 mars à 21 heures (vendredi, samedi), 16 heures 30 samedi et dimanche. Tél. : 01 48 08 39 74.

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Une démocratie splendide d’arbres forestiers ; on croirait ce superbe titre choisi par Nicolas Struve pour son dernier spectacle spécialement taillé pour notre temps. Or c’est là l’extrait d’une lettre du poète anglais John Keats qui vécut au début du 19e siècle et disparut à l’âge de 25 ans, en 1821. Un météore qui traversa le monde poétique anglais et fut reconnu à sa juste valeur par des grands noms de la poésie de l’époque comme Shelley ou encore Byron, pour ne citer que les plus célèbres. Au vrai le lecteur comprendra mieux l’énigmatique propos du titre si on en donne un extrait plus large : « L’homme ne devrait ni discuter ni affirmer mais murmurer à son voisin des résultats, et ainsi […] chaque humain pourrait s’élever et l’humanité, au lieu d’être une lande sauvage de ronces et d’ajoncs çà et là plantée d’un chêne ou d’un sapin isolé, deviendrait une démocratie splendide d’arbres forestier ».

C’est donc ce poète que Nicolas Struve a choisi de mettre en exergue, un exercice qu’il avait déjà opéré avec bonheur avec Marina Tsvetaeva (De la montagne et de la fin) puis Tchekhov (Correspondance avec la Mouette), des auteurs qu’il avait pu traduire lui-même. Ce qui n’est pas le cas cette fois-ci, la transcription de l’anglais au français ayant été assurée par Robert Davreu, lui-même poète qui avait aussi traduit Shelley. À partir de cette matière poétique à laquelle Nicolas Struve n’aura pas manqué d’ajouter – de mélanger – des extraits de la correspondance de Keats, est né un spectacle réalisé « avec quatre planches et pas grand-chose » (c’est-à-dire sans beaucoup de moyens de production), mais avec une belle imagination et beaucoup d’intelligence. Et c’est lui, en personne, qui assume avec l’aide du musicien Mico Nissim, l’entièreté du spectacle où il retrace la vie du poète agrémenté d’extraits de poèmes et de lettres, un montage parfaitement cohérent et qui tient le spectateur en haleine, heureux de découvrir une langue poétique qu’il ne connaissait pas forcément.

Il y a surtout la forte présence du comédien qui habite la scène agencée dans un subtil mais très calculé désordre avec un plancher entièrement recouvert de carton, comme le fond de scène et un petit bureau chargé de livres, de pinceaux, de quelques fleurs… le scénographe Raymond Sarti ayant relégué l’espace musical de Mico Nassim de l’autre côté au lointain.

C’est une authentique performance que réalise Nicolas Struve, un comédien que l’on a pu apprécier ici et là (chez Novarina par exemple), mais qui n’avait enfin jamais été aussi bien mis en valeur que cette fois-ci où, en véritable chef d’orchestre, passant d’un registre de jeu à un autre avec aisance, en constante connivence avec le public dans l’offrande de la poésie de Keats (qui mérite très largement cette mise en lumière et dont ne connaît, au mieux, que sa fameuse Ode à l’automne) et des étapes de sa vie dans une belle inventivité (les portraits des amis du poète sont ainsi évoqués dans des figurines en carton – une matière "économique ? – à chaque fois qu’il est question d’eux…). Il y a là une forme générosité assez rare dans le théâtre surfait de notre époque.

Photo : DR