Une jouissive expérience théâtrale

Jean-Pierre Han

13 février 2023

in Critiques

Le moment psychologique de Nicolas Doutey. Mise en scène d’Alain Françon. Théâtre Ouvert, jusqu’au 18 février à 19 heures 30 (lundi, mardi, mercredi) et 20 h 30 (jeudi, vendredi). Tél. : 01 42 55 55 00. resa@theatreouvert.com

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C’est un étrange objet théâtral que nous livrent conjointement Nicolas Doutey et Alain Françon avec Le moment psychologique. Une sorte d’OVNI, en tout cas un objet décalé par rapport à la configuration du théâtre actuel. Un objet que l’on ne saurait apprécier à sa juste valeur si on ne le met pas en regard du travail d’écriture que mène l’auteur depuis quelques années. Et l’on comprendra encore moins le spectacle si l’on ne précise pas qu’Alain Françon avait déjà mis en espace le texte de Nicolas Doutey, lequel l’accompagne en tant que dramaturge dans nombre de ses mises en scène. D’une certaine manière donc, les deux hommes ont partie liée, ou en tout cas se connaissent bien. Peut-être était-ce nécessaire si l’on entend considérer correctement le travail qui nous a été présenté…

En quoi Le moment psychologique présenté à Théâtre Ouvert (après avoir été créé au Studio-Théâtre de Vitry) se démarque-t-il du commun des autres productions, qu’elles soient réussies ou pas ? La manière d’envisager l’écriture du texte de la pièce de Nicolas Doutey est particulière dans la mesure où le langage est d’abord considéré dans sa dimension active, gestuelle, ne représente rien, et ne renvoie pas à un ailleurs fictionnel. Il convient de la considérer comme telle. Il y aurait comme un présent de l’écriture qui correspondrait à un présent de la représentation, et c’est sans doute ce qu’Alain Françon dans la fréquentation attentive qui est la sienne pour tous les textes qu’il travaille et fait travailler, celui-ci plus que tout autre, a parfaitement saisi. Les personnages, au départ, deux amis d’enfance, Pierre et Paul (on remarquera le méticuleux choix des prénoms !), soit respectivement Pierre-Félix Gravière et Rodolphe Congé, un habitué de l’univers de l’auteur, se sont donnés rendez-vous… Et voilà le point de départ d’une expérience développée dans le très juste dispositif scénique de Jacques Gabel (un cercle ouvert de bancs) comme est très juste le point de départ donné par le metteur en scène avec ses personnages assis, parfois de dos et éloignés les uns des autres ; ils se lèveront, se retourneront pour entrer dans la ronde avec les autres personnages… Rien que de très naturel après tout. Les premières à entrer dans le cercle, après une entame plutôt désopilante, sont deux femmes du monde politique – So (Pauline Belle) et Matt (Dominique Valadié) – lequel monde entre donc dans la danse. Plus tard interviendront Anna (Claire Wauthion) et Pam (Louis Albertosi) qui enfonceront encore le clou (politique) de cette ronde.

« Moment psychologique » comme dit le titre, on y est en plein alors même que toute psychologie des personnages est effacée au profit d’une sorte de performance scénique – exceptionnelle – qui navigue savamment d’un registre à l’autre dans lequel l’humour, la drôlerie ne sont pas exclus, alors que tous les repères d’une dramaturgie « traditionnelle » ont été effacés au profit d’un pur présent de la représentation.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage