Françon au sommet de son art

Jean-Pierre Han

11 février 2023

in Critiques

En attendant Godot de Samuel Beckett. Mise en scène d’Alain Françon. La Scala, jusqu’au 8 avril, à 21 heures. Tél. : 01 40 03 44 30. www.lascala-paris.fr

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En avons-nous connu des mises en scène d’En attendant Godot, des plus marquantes à d’autres qu’il vaut mieux oublier, signées des noms les plus prestigieux du théâtre, avec des interprètes hors pair. Quant aux commentaires, on ne les compte plus, là aussi des plus pertinents aux plus oiseux. Or c’est un miracle qui se produit sur la scène de la Scala à Paris. Le Godot mis en scène par Alain Françon retrouve une virginité. Nous ne pensions pas, à nous qui, à force, connaissons par cœur des passages entiers de la pièce, qu’il était possible de redécouvrir ainsi le texte de Samuel Beckett. Or c’est très exactement le miracle qui se produit à la vue et à l’écoute de ce spectacle créé en juin dernier à Lyon, aux Nuits de Fourvière. Connaissant la manière de travailler de Françon, il est à peu près certain qu’il n’a pas manqué de lire commentaires et autres écrits sur la pièce et son auteur, qu’il n’a pas manqué de se remémorer d’anciennes mises en scène de Godot. D'un autre côté ce n’est pas la première fois qu’il investit l’œuvre de Beckett : en 2011, un peu plus d’un an après avoir quitté le direction du théâtre de la Colline, il avait mis en scène Fin de partie où l’on trouvait déjà Gilles Privat, présent ici dans le rôle de Vladimir. De Clov à Vladimir… on pourra toujours épiloguer sur cette continuité… De Fin de partie (1957) à En attendant Godot (1952) donc Alain Françon remonte le temps beckettien, au plus près de la source de l’écriture de l’écrivain. Et c’est bien ainsi, à s’approcher d’une réelle perfection, le temps d’un déclic, après la prise de parole d’André Marcon (Estragon) assis sur le rocher stipulé dans les didascalies, à jardin, le temps de se dire que l’on est au théâtre, un théâtre de texte, avant d’être totalement embarqué avec le quatuor formé d’André Marcon donc, de Gilles Privat, de Guillaume Lévêque (Pozzo), d’Éric Berger (Lucky), auxquels il faut ajouter Antoine Heuillet dans le rôle du jeune messager de Godot. L'univers, ou plutôt le no man's land indiqué par l’auteur, respecté à la lettre, au grain de sable près, et avec cette si belle toile de fond signée Jacques Gabel. Mais ce qui est respecté, ciselé à la lettre, au souffle près, c’est bien le texte, ce qui n’est certes pas nouveau chez Françon, mais c’est flagrant ici car il n’y pas d’ « histoire », d’intrigue qui viendraient distraire notre attention. À ce jeu (c’en est un), il faut des interprètes complices de cette forme de travail. André Marcon et Gilles Privat, tout comme Guillaume Levêque, le sont au plus haut point depuis toujours.

Ce n’est pas un En attendant Godot de plus, c’est En attendant Godot tout simplement.

Photo : © Jean-Louis Fernandez