Un "Oncle Vania" dénaturé

Jean-Pierre Han

9 février 2023

in Critiques

Oncle Vania de Tchekhov. Mise en scène de Galin Stoev. Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 26 février, à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40. www. theatreodeon.eu

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Il faut vraiment ne pas faire confiance à l’intelligence des spectateurs pour croire qu’ils sont dans l’incapacité de parfaitement comprendre la langue de Tchekhov dans son rapport au contemporain (ce serait donc une langue obsolète) et se sentir dans l’obligation de la transcrire selon des normes des plus basiques dans la langue d’aujourd’hui. C’est très exactement ce qu’a fait Galin Stoev avec l’aide de son assistante à la mise en scène, Virginie Ferrere. Le résultat est simplement consternant, quand l’écriture – une traduction paraît-il – ne frise pas la vulgarité. Heureusement que l’acoustique de la salle de l’Odéon étant ce qu’elle, c’est-à-dire mauvaise, bon nombre de paroles des comédiens se perdent dans les limbes (les cintres), et ne parviennent pas à atteindre nos oreilles écorchées…

À partir de cette frustre base langagière, difficile voire impossible d’établir un projet scénique qui se tienne sauf à rester dans le même « tempo » entre caricature et ridicule. Ce qui est chose faite. Heureusement quand même, la pièce étant qualifiée par son auteur de « Scènes de la vie de campagne », et n’ayant pas forcément de continuité dans le déroulé de l’histoire, tout n’est pas de la même eau dans la mise en scène de Galin Stoev, ce qui sauve certaines séquences de la catastrophe ou de la plus totale incompréhension. Cela se passe dans un espace intemporel, « celui d’un futur proche » comme nous le précise le metteur en scène, une sorte de salle d’attente encombrée de bric et de broc, ce qui est vraiment l’expression puisque la scénographie d’Alban Ho Van a été composée à partir d’éléments de décor anciens (dans « le souci de réduire l’empreinte carbone du Théâtre de la Cité » de Toulouse que dirige Galin Stoev)…

On attend en effet, comme nous le suggère d’entrée de jeu les personnages alignés sur des chaises face au public, espérant que l’on veuille bien leur passer la parole, ce qui sera fait dès lors qu’ils auront reçu un petit bâton de bois ; passage de témoin… La dystopie annoncée est soulignée comme sont soulignés certaines paroles émises dans un micro sur pied posé sur un côté de la scène, et sans que l’on comprenne toujours pourquoi cet extrait de réplique plutôt qu’une autre. On aura bien compris en tout cas le propos du metteur en scène qui, c’est l’air du temps, insiste bien notamment sur la dimension écologique de la pièce… Pour le reste, on souffre surtout pour les comédiens que l’on a pu tant apprécier dans d’autres productions : on pense à Suliane Brahim, drôlement fagotée en habits blancs, à Andrzej Seweryn dans un registre pour le moins curieux et décalé… à Sébastien Eveno (Vania) ou Cyril Gueï (Astrov) qui parviennent à s’en sortir par moments. On cherche en vain la cohérence de tout cela.

Photo : © Marie Liebig