De la dépossession à la disparition

Jean-Pierre Han

7 février 2023

in Critiques

On n’est pas là pour disparaître de Olivia Rosenthal. Mise en scène de Mathieu Touzet. Théâtre 14 à 20 heures (sauf jeudi 19 heures et samedi 16 heures). Jusqu’au 18 février. Tél. : 01 45 45 49 77.

www.theatre14.fr

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Comment parler de ce qu’il y a encore peu, personne n’osait ou ne pouvait évoquer, alors que l’on commence tout de même à tenter de le faire aujourd’hui. La romancière Olivia Rosenthal s’y était ainsi attelée dans son roman On n’est pas là pour disparaître paru il y a maintenant plus d’une quinzaine d’années. Pour ce faire elle s’était très sérieusement documentée, se mettant elle-même en jeu dans son propre rapport à la maladie… Son livre s’appuyait sur le cas d’un certain Monsieur T. qui, atteint de la maladie d’Alzheimer, avait un beau jour poignardé sa femme de cinq coups de couteau, sans que l’on puisse dire s’il était conscient de ses actes – il n’en avait d’ailleurs aucun souvenir – au moment des faits. Car la maladie d’Alzheimer présente cette particularité de projeter ceux qui en sont victimes, dans un autre espace-temps ; une disparition du monde du réel dans lequel nous sommes tous – bien portants – censés vivre. C’est dans cet autre espace-temps que nous plongeait Olivia Rosenthal, et qu’à sa suite nous plonge Mathieu Touzé, qui a lui-même adapté le texte de la romancière et s’est attaqué à la mise en scène de cette nouvelle matière qu’il a voulue (et réalisé) la plus fidèle possible.

À cet égard sa réalisation qui surmonte toutes les difficultés liées à une telle entreprise est parfaitement réussie dans la mesure où tous les éléments du spectacle concourent à mettre en exergue ce qui est de l’ordre de la voix et de la parole (ce devrait être une lapalissade !), celles émises par le personnage principal, mais celles aussi (nombreuses et venues de divers horizons) qui le traversent, l’enveloppent. C’est un faisceau de voix et de paroles qui s’élève marquant les étapes de la dépossession de la langue du malade et de son être l’emportant petit à petit dans un autre monde et vers sa propre disparition. Car c’est bien de cela dont il s’agit, de cette dépossession-disparition. Ces éléments, des voix enregistrées (dont, comme ponctuations, celle de Marina Hands) qui le traversent, de la création musicale (live) de Rebecca Meyer à la création vidéo de Justine Emard en passant par le travail ciselé de la lumière signé Renaud Lagier et Loris Lallouette, tout vient se concentrer sur le corps souffrant de ce fameux Monsieur T. Tout vient se concentrer vers le comédien Yuming Hey, dont l’extraordinaire performance porte et crédibilise le spectacle. Corps vissé au centre de la scène – de son apparente fragilité se dégage une extraordinaire force – traversé par mille et une sensations, il porte le spectacle à lui seul, avec une incroyable sensibilité. Nul doute que Mathieu Touzé avec lequel il travaille régulièrement et qui le connaît donc bien aura su tirer le meilleur de lui pour servir au mieux le propos d’Olivia Rosenthal.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage