Une mise en scène crépusculaire

Jean-Pierre Han

1 février 2023

in Critiques

La Mort de Danton de Georg Büchner. Mise en scène de Simon Deletang. Comédie-Française, jusqu’au 4 juin, à 20 h 30. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr

Christophe Raynaud de Lage

On ne peut que se féliciter de l’entrée au répertoire de la Comédie-Française du chef-d’œuvre de Georg Büchner, La Mort de Danton. On aurait pu penser qu’avec des administrateurs comme Antoine Vitez ou Jean-Pierre Vincent cela aurait pu être réalisé depuis longtemps, encore fallait-il sans doute s’entendre avec un metteur en scène en désir de s’y coller. Avec Éric Ruf, Simon Deletang a su se montrer persuasif d’autant que son appétence pour le théâtre allemand est bien connue – cet été, à Bussang qu’il dirigeait encore, n’a-t-il pas présenté Hamlet-machine de Heiner Müller (pour ne prendre que ce simple exemple) ? Quant à Büchner, on rappellera qu’il s’est déjà attaqué à Woyzeck et a suivi son parcours auprès de Lenz… C’était donc, a priori, le metteur en scène idéal pour s’embarquer dans la délicate aventure de La Mort de Danton. Délicate parce la pièce de Büchner ne se donne pas d’emblée, et n’est pas forcément ce qu’elle paraît être, fonctionnant sur différent tableaux peut-être pas toujours conciliables les uns avec les autres. Au-delà de la partie historique – quasi documentaire encore que parfois largement rectifiée au plan de l’écriture – telle qu’elle se dessine dans sa pièce (Büchner à travaillé très sérieusement sur le sujet, en s’appuyant notamment sur l’Histoire de la Révolution française de Thiers et aussi sur Le Nouveau Paris de Louis-Sébastien Mercier), d’autres aspects apparaissent, tout particulièrement, ceux concernant une authentique réflexion politique concernant, par-delà la Terreur, toutes les révolutions, ou encore ceux concernant les fondements de l’existence humaine. Sans doute Büchner a-t-il aussi mis des réflexions personnelles (il s’était d’ailleurs aussi investi dans l’action révolutionnaire ce qui l’avait contraint à fuir et à s’exiler…). On passe ainsi du général au particulier dans des séquences discontinues, de registres différents les uns des autres.

Comment dès lors donner à l’ensemble une ligne cohérente, comment concilier ces registres dramatiques différents ? On comprendra aisément que les metteurs en scène qui montent la pièce fassent souvent des choix radicaux en optant pour telle ou telle vision des choses, qu’il s’agissent de Thomas Ostermeier, Georges Lavaudant, ou Jean-François Sivadier il y a une quinzaine d’années pour ce dernier, et pour ne parler que des plus connus. Des choix sont alors opérés qui ont pour conséquence des coupures dans le texte de Büchner. Tel n’est semble-t-il pas l’option choisie par Simon Deletang qui tente, sans vraiment être tout à fait convaincant, d’unifier l’ensemble, ne serait-ce que dans son choix scénographique (il réalise toujours ses propres scénographies), un espace unique avec un superbe et très élégant décor – on reste dans une sorte de « classicismeè très XVIIIe siècle (après tout on est à la Comédie-Française !) –, seuls, au fil des scènes, des éléments seront manipulés pour signifier les changements de lieux, mais Simon Deletang a quand même coupé les scènes de rue, celles du peuple… Dans une telle configuration et même s’il y a eu volonté de saisir la pièce dans sa globalité, force est de reconnaître que l’équilibre entre les différents registres n’est pas toujours au rendez-vous…

Plus problématique encore est la cohérence de la distribution : va pour Loïc Corbery – à contre-courant de l’image que l’on peut se faire du personnage de Danton, mais pourquoi pas ? – un comédien que Simon Deletang connaît bien pour l’avoir encore dernièrement dirigé à Bussang, dans le rôle-titre de Hamlet (on pourrait à ce propos évoquer les accents shakespeariens de la pièce de Büchner), et dans le Heiner Müller, mais que dire des autres rôles ? Ce n’est pas la qualité des comédiens qui est en cause, mais enfin que fait Clément Hervieu-Léger, raide comme un piquet, dans le rôle de Robespierre ? Pas plus, pas moins que Guillaume Gallienne (en alternance avec Julien Frison)… ce sont encore les femmes, Marina Hands en tête, qui s’en sortent le mieux… mais tout cela ne fait pas une distribution cohérente. On ne peut que le regretter.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage