Sublime corps à corps

Jean-Pierre Han

25 janvier 2023

in Critiques

Un sentiment de vie de Claudine Galea. Mise en scène d’Émilie Charriot. TN Strasbourg, jusqu’au 27 janvier à 20 heures, puis au Vidy-Lausanne du 1er au 11 février, avant le Théâtre des Bouffes du Nord du 11 au 28 janvier 2024. Tél. 03 88 24 88 24.

Le texte d’Un sentiment de vie a été publié aux Éditions espaces 34, 52 pages, 12,50 euros.

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Il faut le dire haut et fort : ce que réalise Valérie Dréville dans son interprétation du très beau texte, Un sentiment de vie, de Claudine Galea relève du prodige. Ce terme n’étant peut-être pas tout à fait adéquat, dans la mesure où sa prestation sur le plateau totalement dénudé de la petite salle Gignoux du TNS où le spectacle a été créé, est le résultat d’un immense travail de la comédienne, point par point, mot après mot, souffle après souffle dans sa respiration particulière (qui est particulière chez l’autrice), un corps à corps singulier, une saisie de l’ensemble et une intelligence à nulle autre pareille. Oui, ce qu’elle réalise avec l’aide de sa metteure en scène, Émilie Charriot, dont on pourrait penser bien à tort que le travail parce qu’il n’est pas visible et encore moins ostentatoire (plateau nu et plein feu sur lui), n’existerait pas, est simplement – pardon d’y revenir –, prodigieux. Et pourtant ce n’est pas la première fois que Valérie Dréville nous éblouit, mais à ceci près que cette fois, mains dans les poches, très léger sourire aux lèvres, chaque mouvement délié, et pourtant totalement maîtrisé, elle s’adresse directement au public en s’accaparant toutes les voix qui parcourent le texte. Ainsi l’a voulu Émilie Charriot et elle a eu raison. De même qu’elle a eu raison de faire en sorte que Valérie Dréville enchaîne les trois mouvements du texte de Claudine Galea qui pourtant semblent être bien distincts dans leurs énonciations respectives.

La lecture très attentive d’Émilie Charriot a pu être nourrie par la création de la pièce en Allemagne qu’elle a faite à Bâle en 2021…

C’est en effet une construction savante, pas forcément évidente à première vue, qu’opère Claudine Galea dans Un sentiment de vie, son sentiment de vie qui troue son parcours car il s’agit bien d’un parcours qui la mène d’un premier mouvement, my secret garden, une adresse à Falk Richter autre artiste associé du TNS comme elle et comme Valérie Dréville) qu’elle ne connaît pas, mais dont le texte la hante, pour passer dans un deuxième temps à my way, dans un dialogue entre l’autrice et son père, pour s’achever dans une sorte de chant fragmenté dans lequel revient comme l’objurgation d’écrire… et de balayer l’ombre de la mort qui recouvre l’ensemble de l’œuvre. On n’omettra pas de signaler que ces trois mouvements sont précédés d’un avant-propos justement intitulé « une danse », et c’en est une effectivement, après avoir parcouru un chemin qui se calquerait, à s’y méprendre, sur le parcours qu’entreprit autrefois Lenz que Büchner a si bien transcrit… alors que la mort couvre de son ombre ce singulier parcours qui prend comme prétexte la volonté de l’autrice d’écrire sur son père.

Photo : © Jean-Louis Fernandez