Temps incertains…

Jean-Pierre Han

23 janvier 2023

in Critiques

L’Orage d’Alexandre Ostrovski. Mise en scène de Denis Podalydès. Théâtre des Bouffes du Nord,jusqu’au 29 janvier à 20 heures, puis tournée. Tél. : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com

L'adaptation de la pièce par Laurent Mauvigner est éditée aux Éditions de Minuit

Les hasards de la programmation des théâtres réservent parfois d’étranges sinon d’heureuses surprises. Après la mise en scène d’Un mois à la campagne de Tourgueniev par Clément Hervieu-Léger, voici qu’un autre sociétaire de la Comédie-Française, Denis Podalydès, présente L’Orage d’Ostrovski. Deux chefs-d’œuvre du théâtre russe écrits l’un en 1850, l’autre en 1859 ; petit décalage temporel logique après tout puisque cinq ans seulement séparent la naissance des deux dramaturges. Autre coïncidence, dans Un mois à la campagne, un énorme orage marque une belle et très signifiante césure dans le déroulé dramaturgique de la pièce, quant à l’œuvre d’Ostrovski son titre est pour le moins explicite et se suffit à lui-même

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Orage donc dans une petite ville du bord de la Volga dont l’omniprésence est soulignée en « toile  de fond » par une immense photo du paysagiste Thibaut Cuisset. Au moins les choses sont claires : l’héroïne, Katerina, viendra se jeter dans le fleuve à la fin de la pièce. Triste et très logique épilogue du drame dont les protagonistes sont dessinés d’un trait ferme qui accentue leur noirceur, parfois presque à la limite de la caricature, de la plupart d’entre eux. Soit, entourant jusqu’à l’emprisonner Katerina, à qui Mélodie Richard prête une grâce touchante, ce qui n’était pas gagné d’avance, son mari (Thibault Vinçon) brutal et veule tout à la fois aux ordres de son acariâtre de mère (Nada Strancar) qui, bien sûr, déteste sa belle-fille. Pour compléter le noyau familial, seul souffle d’air, la très vive belle-sœur de Katerina, Varvara qu’interprète Leslie Menu, la seule amie de Katerina. Autour de ce noyau gravite le petit peuple de la ville, marchands et riches parvenus, d’où l’on distingue toutefois une espèce de clochard céleste, amateur de poésie et de science et à qui Philippe Duclos donne une dimension presque lunaire. On mettra également à part le neveu d’un des petits potentats locaux par qui le drame se nouera à partir de sa liaison avec Katerina…

Le scénario d’un classicisme tragique est bien mis en place par Ostrovski, mais comme l’affirme Denis Podalydès, « L’Orage est un classique ébréché, bizarre, très drôle et très dur. Une pièce d’hier pour aujourd’hui ». Classique certes, ébréché, sans aucun doute, bizarre, un peu, « une pièce d’hier pour aujourd’hui » peut-être, à condition que ce soit vraiment une pièce d’hier, qui nous parlera d’aujourd’hui et à condition de ne pas le souligner à gros traits. Car les traits sont gros, un peu trop gros. D’ailleurs tout le spectacle souffre de gigantisme, à commencer par la scénographie, réalisée par un autre membre de la Comédie-Française, son administrateur Éric Ruf, le jeu de certains acteurs suit le mouvement, presqu’uniforme dans sa volontaire intensité (et pourtant quelle distribution !). Fallait-il à ce point souligner ce que la traduction de Laurent Mauvigner installe déjà très clairement ? Et fallait-il ajouter poste de télévision et téléphone portable ? Les costumes sans âge d’Anaïs Romand suffisaient peut-être. On oscille dès lors entre moments d’agacements et moments prenant quand la pièce d’Ostrovski parvient à résister.

Photo : © Jean-Louis Fernandez