Le rythme de la nature

Jean-Pierre Han

15 janvier 2023

in Critiques

Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev. Mise en scène de Clément Hervieu-Léger. Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet. Jusqu’au 4 février à 20 heures, puis tournée. Tél. : 01 53 05 19 19. www.athenee-theatre.com

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L’une des vertus principales de la mise en scène de Clément Hervieu-Léger pour Un mois à la campagne de Tourgueniev qu’il a eu la bonne idée – qui allait presque de soi – de reprendre dans la traduction de Michel Vinaver réalisée pour Alain Françon, est d’épouser à merveille le mouvement même de la pièce qui présente l’avantage d’être parfaitement structurée. De l’accompagner, de le développer et de l’enrichir de toutes les subtilités comme dans un mouvement musical. Il y a effectivement quelque chose de cet ordre, et pour un peu on pourrait presque parler d’un concert avec ses interprètes, chacun avec son instrument (vocal et physique) dans son registre bien particulier. La réussite du spectacle tient pour partie dans cette capacité du metteur en scène à gérer – c’est l’un de ses qualités que l’on retrouve d’un spectacle à l’autre – cette sorte d’orchestre. On peut d’ailleurs d’autant mieux se permettre cette comparaison que les participants évoluent en grande partie sur une estrade posée au centre du plateau, une scène sur la scène, l’extérieur étant laissé nu pour bien montrer que l’on est au théâtre. Entre extérieur et intérieur, la petite troupe (c’en est authentiquement une, celle de la compagnie des Petits Champs que dirige Clément Hervieu-Léger et à laquelle la plupart des comédiens ici présents appartiennent) évolue avec une belle détermination, à commencer par Clémence Boué qui donne du personnage que l’on a tendance à considérer comme principal, Natalia Petrovna, une belle et forte image, même dans ses moments de « défaite » – que la nature aura annoncée par un énorme orage – celle succédant à l’aveu de son amour irrépressible pour le jeune précepteur à la beauté d’un ange venu de Moscou Alexeï Beliaev (Louis Berthélémy). Tout tourne autour de ce dernier, qu’il soit présent sur scène ou pas : Tourgueniev avait à l’origine intitulé sa pièce, l’Étudiant Les autres comédiens découpent à la perfection leurs personnages, la palme revenant sans doute à Stéphane Facco dans le subtil rôle de Rakitine, l’ami de la famille, chaste amoureux et très fidèle complice, jusqu’au sacrifice, de Natalia.

Composé en 1850 alors qu’il vivait en France, Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev alors âgé d’un peu plus d’une trentaine d’années annonce à bien des égards Tchekhov, et notamment la Cerisaie que Clément Hervieu-Léger a récemment mis en scène à la Comédie-Française, tout comme il avait auparavant investi à deux reprises l’univers de Marivaux. Tchekhov, Marivaux et même Goldoni, à n’en pas douter Clément Hervieu-Léger aime à œuvrer dans un registre qu’il connaît et maîtrise bien.

Photo : © Juliette Parisot