L'effroi au quotidien

Jean-Pierre Han

8 décembre 2022

in Critiques

Girls and boys de Dennis Kelly. Mise en scène de Chloé Dabert. Théâtre 14, jusqu’au 23 décembre à 20 heures. Tél. : 01 45 45 49.77 ; Theatre14.fr

C’est une caractéristique de nombre d’auteurs dramatiques anglais que de travailler également pour la télévision ou le cinéma. On en a encore eu un exemple récent avec Lucy Kirkwood que Chloé Dabert justement vient de mettre en scène avec succès. Dennis Kelly, l’aîné de l’autrice du Firmament, en apporte une autre preuve : ce passage hors théâtre semble affermir le développement de leurs œuvres qui deviennent des machines impitoyables, sans faille, et parfois aux retournements de situation terrifiants. Ainsi en est-il de Girls and boys de Dennis Kelly, un auteur que Chloé Dabert aborde pour la troisième fois. Elle connaît donc parfaitement tous les rouages de l’écriture du dramaturge excellemment traduit par Philippe Le Moine. Cela se sent dans tous les compartiments de son travail de mise en scène que l’excellence – pour ne pas dire plus – de l’interprétation de Bénédicte Cerrutti pourrait nous faire oublier, car bien sûr – c’est une lapalissade – on ne voit qu’elle sur scène (!), sa prestation d’une extrême finesse mêlée à une force étonnante…

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Et nous voilà embarqués dans le récit de la vie d’une jeune femme, une femme parmi d’autres venue de la salle où elle commence son récit avant de monter quelques marches menant à la scène où elle va, dans un premier temps, évoluer au plus près des spectateurs en s’adressant directement à eux. Rien que de très banal en somme, et ce qu’elle raconte, notamment sa rencontre dans une file d’attente d’embarquement pour un vol Easyjet avec celui qui deviendra son mari, arrache sourires et même rires. Suite des anecdotes (conjugales notamment mais aussi de travail ; la vie de tous les jours) menées avec une certaine légèreté, avant de devenir plus graves et de finir dans l’effroi, le récit toujours mené avec maîtrise et presque retenue aura doucement glissé vers d’autres contrées avant de s’achever dans l’indicible.

La performance de Bénédicte Cerutti, je l’ai dit, est exceptionnelle alors que la comédienne mène son personnage dans une sorte de quotidienneté de bon aloi. Si proche, si loin de nous… Mais ce qui est remarquable c’est l’environnement de l’ensemble, spatial (avec des panneaux coulissants, dans une mise en place élaborée et volontairement glaciale ; scénographie de Pierre Nouvel), sonore, où chaque détail réglé au millimètre près, dans un vrai travail d’équipe, concourt à mettre en exergue le parcours de la comédienne. En ce sens la réussite de Chloé Dabert est totale, sa mise en scène fine et subtile.

Photo : © Victor Tonelli