Jeux d'écritures et de lectures

Jean-Pierre Han

28 novembre 2022

in Critiques

Entre les lignes de Tiago Rodrigues. Mise en scène de l’auteur. Théâtre de l’Athénée, à 20 heures 30, jusqu’au 17 décembre. Tél. : 01 53 05 19 19. www.athenee-theatre.com

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J’ai proposé ici même il y a peu (24 octobre 2022) d’envisager toute l’œuvre de Tiago Rodrigues, aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant que metteur en scène, sous le signe d’une perpétuelle mise en place de dispositifs toujours en plein fonctionnement. Voici qu’avec son dernier spectacle présenté ces jours-ci à Paris, Entre les lignes, il nous offre un nouvel brillantissime et fort réjouissant exemple. De manière parfaitement visible cette fois-ci, comme s’il avait voulu montrer la mise en jeu des mécanismes de son mode d’action. Entre les lignes, de ce point de vue, est un titre parfaitement parlant, à prendre dans sa littéralité : il est bien question de lignes d’écriture, celle de la fiction que l’auteur invente et insère entre celles concernant l’histoire d’Œdipe narrée par Sophocle. À ces deux types de récits viendront s’ajouter un peu plus tard les didascalies que le metteur en scène, soi-disant absent, donne à son comédien, en survêtement – une sorte de « bleu » de travail – : trois niveaux de lecture donc pris en charge par Tonan Quito, dans une formidable mise en abyme. Question lecture d’ailleurs Tiago Rodrigues poursuit cette mise en abyme ; il est, dit-il, atteint d’un début de cécité et ne peut donc pas, au sens strict du terme,… lire !

Tonan Quito, le compagnon de travail, complice de longue date de Tiago Rodrigues n’hésite pas, pour la circonstance de lire (et de jouer) dans sa langue maternelle, le portugais, en n’oubliant pas de s’adresser à nous en français. Le jeu des langues double le jeu des écritures. C’en devient vertigineux dans la version jouée dans un autre pays que celui d’origine, le Portugal où le spectacle a été créé en 2013. Le dispositif de Tiago Rodriguès se permet aussi de jouer à un autre niveau, celui concernant l’absence de l’auteur-metteur en scène ; un personnage, toujours nommé, Tiago Rodrigues, et éminemment présent. Un absent toujours présent donc car il n’est finalement question que de lui. Alors que théâtralement Tonan Quito, joue à merveille le rôle de celui à qui la capacité de jouer a été enlevée, il n’est plus qu’une personne en quête d’un personnage, et finalement chargé de faire l’ingrate besogne d'accueillir et de tenir le public en haleine.

On pourrait multiplier les exemples de ce type. C’est délicieusement troublant, et on pourra même ajouter que les extraits de l’Œdipe de Sophocle, tout comme le court extrait du Don Quichotte de la Manche de Cervantès sont loin d’avoir été choisis au hasard. De quoi donner de la matière et du poids au spectacle qui est une vraie et très jouissive réussite.

Photo © Mariano Barrientos